Ce qu'en pensent les musiciens romands

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Fermeture de MegauploadCe qu'en pensent les musiciens romands

Le monde de la musique est directement touché par la fermeture de Megaupload. Des artistes de Suisse romande donnent leur avis sur la question et des idées pour la suite.

Fabrice Aubert
par
Fabrice Aubert

Stress, rappeur, Lausanne-Zurich

«Je suis partagé par cette nouvelle, même si je n'utilisais pas Megaupload. D'un côté c'est bien pour les droits des artistes du monde de la musique, du cinéma ou des jeux vidéos puisque l'industrie du divertissement va tellement mal. Mais en même temps dans notre société actuelle, tout est partagé sur ce genre de plateformes. C'est une machine difficile à renverser. Je ne vois pas comment on pourrait donner envie aux gens de payer ce qu'ils sont habitués à avoir gratuitement. Chaque artiste ressent cela puisque le volume du marché a baissé. Mais surtout, les habitudes de consommation des gens ont changé. Que ce soit pour écouter de la musique, regarder des films, commander des habits ou même parler à des amis, tout se fait derrière un écran. On n'a plus de raison de se rendre dans des lieux physiques. Et cela a une influence sur les ventes de produits.»

Fuzzy O'Bron, batteur du groupe de rock The Rambling Wheels, Neuchâtel

«Je suis étonné que cela n'arrive que maintenant alors que ce site existe depuis longtemps. De toute façon d'autres sites proposent les même services. A notre niveau, on ne peut pas dire que ce genre de sites nous causent du tort. On est même plutôt fiers quand on y retrouve nos morceaux. De toute façon, les habitudes de consommation des gens ont changé. Ils veulent plus que de la musique. Il faut donc leur proposer des packages sympa. Et surtout, il faut créer un lien émotionnel entre le groupe, le disque et le public. C'est ce que nous essayons de faire, notamment en concerts, et ça marche bien. De mon point de vue, Megaupload est moins une menace pour la musique qu'un service comme Spotify. Ce genre de sites de streaming font croire que leur pratique est légale mais en réalité cela ne rapporte rien aux artistes. A titre d'exemple, l'un de nos morceaux a été écouté plus de 1'000 fois pour rapporter 10 dollars… à partager entre le distributeur et les artistes! C'est ridicule!»

Shana P, chanteuse de r'n'b-soul, Genève

«Le téléchargement gratuit ne va pas s'arrêter avec la fin de Megaupload. Plus on va l'interdire, plus il y en aura, c'est inévitable. La plupart des gens le font même s'ils ne veulent pas l'admettre. De toute façon, les artistes ne vivent plus grâce aux ventes de disques. Les compilations se vendent encore mais c'est tout. Et le téléchargement légal ne marche pas bien. C'est vraiment les concerts qui permettent de vivre de sa musique. Personnellement, lorsque j'ai vu que le single «Distress» que j'ai fait avec Big Ali se retrouvait sur des sites comme Megaupload, j'étais plutôt contente parce que cela voulait dire que des gens l'avaient découvert et avaient eu envie de le partager. Après c'était un morceau promotionnel dont le but était de faire du buzz donc ce n'est pas la même chose que pour un album. En tant qu'artiste, j'utilisais beaucoup Megaupload pour transférer des sons, des données ou des vidéos à l'étranger. Donc il faudra trouver un autre site.»

Chief, producteur de rap indépendant qui collabore avec des artistes internationaux comme le canadien Moka Only, Lausanne

«Je suis content, enfin les problèmes de download commencent à faire bouger les choses un tout petit peu, même si je sais que lorsqu'un site ferme, douze autres s'ouvrent. Mais il faut vraiment qu'ils fassent quelque chose pour les artistes (cinéma, musique, livre, etc.) Pendant les trois premiers mois de chaque sortie de mes disques, je passe mes journées sur les sites comme Megaupload pour faire enlever les liens de free download car en tant qu'indépendant je vous garantis que chaque vente est importante. Mais à la longue ça devient vraiment irritant et je trouve que ces sites devraient avoir un système en interne pour pouvoir voir ce qui est uploadé sur leur serveur et effectuer un contrôle. Après, même si c'est bien qu'un gouvernement commence à prendre le problème au sérieux, il est impossible de refaire l'éducation des jeunes qui ont pris l'habitude de ne rien payer sur internet. J'ai vu plein de commentaires sur Facebook qui disaient : «Merde, maintenant on va devoir acheter des cd's!». Par contre j'ai beaucoup utilisé des sites comme Megaupload pour du partage de données entre musiciens dans le monde entier. Sans ces plateformes, je n'aurais jamais pu faire tous mes albums.»

Jr Tshaka, musicien et chanteur de reggae, Neuchâtel

«Je suis partagé entre mon côté de consommateur qui est très content de pouvoir regarder un film le soir à la maison en un clic de souris et celui de l'artiste qui vend de la musique. Même si je n'aime pas trop la forme radicale de l'intervention du FBI et que fermer ce site ne va pas changer grand-chose, cela a l'avantage de susciter un débat essentiel. Je fais depuis un moment le tour des écoles pour sensibiliser les jeunes aux droits d'auteurs. Et j'ai remarqué qu'ils ne savent pas ce qu'il se passe derrière un disque. Ils veulent tout avoir gratuitement mais ne se rendent pas compte que les artistes ne pourront plus produire de musique s'ils ne sont pas payés. je trouve bien l'idée d'offrir un accès libre à la musique, mais si ce n'est pas le consommateur, il faut que quelqu'un d'autre paie. Cela pourrait, par exemple, être le patron de Megaupload. Au lieu de s'acheter un nouveau yacht, il pourrait reverser l'argent aux artistes. On pourrait aussi imaginer que la musique soit payée par de la publicité et puisse ainsi être gratuite pour les auditeurs. Comme le fonctionnement du 20minutes. On s'est habitué à tout obtenir gratuitement sur internet parce qu'il n'y avait pas de loi mais on est peut-être arrivé à un point où il faut légiférer pour que l'argent revienne à ceux qui créent. Par contre on entend parfois que des sites comme Megaupload permettent aux «pauvres» d'obtenir de la musique. Mais ce sont des «pauvres» qui ont tous un iphone, un mac et une grosse connexion internet! De même avec les gens qui disent qu'ils ne téléchargent gratuitement que les productions de grosses maisons de disques. Est-ce que la personne qui veut une voiture va voler une Mercedes parce qu'elle est vendue par une grosse entreprise?»

Djerem, DJ et producteur de house music, résidant au MAD, Lausanne

«Il y a déjà eu la fermeture de Napster il y a quelques années et le piratage est toujours là! Megaupload est un site parmi tant d'autres, il y a beaucoup de plateformes qui offrent ce genre de services. Ce n'est pas en fermant un seul site que la question du piratage va se résoudre. En plus, beaucoup d'abonnés à megaupload y stockaient des données personnelles en toute légalité donc pour eux ce n'est pas juste. Pour moi, le piratage est aussi une réponse au manque de services de vente de musiques en ligne. Certains albums ne sont pas disponibles en Suisse ou les extraits sont très courts. Pour les artistes, la mise en vente de leur musique est longue. Et les albums se retrouvent en ligne illégalement avant de l'être légalement. La vente de musique rapporte aujourd'hui peu aux artistes. Nos revenus viennent des prestations live et du merchandising .Personnellement, je n'utilisais pas Megaupload mais je m'intéresse au nombre de mes chansons piratées pour avoir un indicateur sur leur succès et leur popularité.»

Geos, rappeur, Genève

«C'est assez drôle pqrce que je venais de mettre mon dernier clip sur megaupload pour l'envoyer aux télévisions en Haïti lorsqu'ils ont fermé le site. Par rapport à la fermeture, je ne pense pas que cela va résoudre le problème du piratage. Personnellement, je suis encore assez «old school», j'achète des CD.»

LiA, chanteur et guitariste de folk, Saignelégier

«Je n'imagine pas que cette arrestation fera un énorme effet sur ce genre de réseau. C'est comme arrêter un gros trafic de drogue, ça ne fera pas arrêter les consommateurs. Par rapport à mon statut actuel d'indépendant, les droits d'auteurs ne sont pas vraiment mes revenus principaux et j'ai grandi, évolué avec internet. Ça ne me réjouis pas en tant qu'artiste, ça ne m'attriste pas en tant que consommateur, j'ai rarement fais recours aux téléchargements et je n'y connais franchement pas grand chose.»

Yvan, musicien et producteur de Stress, Lausanne

«Je trouve que c'est un bon signe pour les auditeurs même si de toute façon cela ne va rien changer. D'autres sites, qui existent déjà, vont prendre le relais. Mais je trouve qu'il faut faire prendre conscience aux consommateurs qu'un gros travail est accompli pour réaliser un album. Un travail qui mérite salaire et qui en plus est un revenu important pour l'artiste. Il faut surtout sensibiliser les nouvelles générations qui sont habituées à obtenir de la musique gratuitement et ne comprennent pas pourquoi il faudrait payer. Je peux dire que chaque année, nous constatons 10% de ventes de disques en moins. Et la musique a perdu de sa valeur. Avant, quand on voulait avoir certains disques, il fallait parfois une grande volonté pour réussir à les trouver. Maintenant tout est disponible. Mais d'un autre côté la musique n'a jamais été autant écoutée donc il n'y a pas que des côtés négatifs. En dehors de l'échange de pistes avec des artistes, il m'est arrivé de recevoir des liens pour téléchager des albums de la part d'amis. Si le disque me plaît, je l'achète, sinon je l'efface.»

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