«Il faut que la technologie arrive à se faire oublier»

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Innovation«Il faut que la technologie arrive à se faire oublier»

L'adoption de la réalité virtuelle pourrait faire un grand bon cette année grâce à de nouveaux appareils et un film de Spielberg. Un expert reste cependant prudent.

par
Laurent Favre

La sortie d'un casque autonome d'Oculus (Facebook) et l'adaptation cinématographique du livre «Ready Player One» sont notamment attendus durant ce trimestre. Co-fondateur de l'agence Somewhere Else et intervenant à l'école CREA à Genève, Christophe Mallet ne s'emballe pas.

Est-ce enfin l'année de la réalité virtuelle?

Non. Malgré l'emballement des médias, la technologie n'est pas encore au point. Trop chère, peu pratique, un catalogue de contenus manquant encore de profondeur et un look un peu ridicule avec le casque sur la tête.

Son porteur ne s'en fiche-t-il pas du regard des autres?

Cela va au-delà. On a affaire à une technologie qui nous isole totalement du monde réel. Ce faisant, vous créez une tension. Par exemple, dans un environnement de réalité virtuelle (VR), les gens vont souvent passer les premières secondes à regarder à droite et à gauche. Un vestige de nos réflexes de défense préhistorique de proies. En dehors des gamers, il va falloir plusieurs années avant que la VR s'impose à la maison. Pour qu'un nouvel usage se démocratise, il faut que la technologie arrive à se faire oublier au profit du contenu. La VR n'y arrive pas encore.

Vous présumez donc que les casques autonomes de réalité virtuelle annoncés comme l'Oculus Go ne vont pas encore parvenir à séduire le grand public?

L'Oculus Go s'est débarrassé du téléphone, des câbles et des capteurs externes. Mais des éléments comme la résolution de l'écran et la puissance de calcul doivent encore progresser. Mais il ne s'agit plus de savoir si la VR va s'imposer, mais quand. Il faudra peut-être attendre une ou deux générations de casques, entre 18 et 24 mois. Contrairement à certaines prédictions, je ne pense pas que la VR soit destinée à remplacer la télévision, le cinéma ou les jeux vidéos traditionnels. Il s'agit d'une nouvelle forme de divertissement et d'information qui trouvera sa place aux côtés de nos autres écrans pour des usages spécifiques.

La sortie du très attendu «Ready Player One», l'adaptation du roman d'Ernest Cline par Steven Spielberg, lui-même très impliqué dans la VR, ne suffira pas non plus ?

Certains prédisent que ce film va marquer l'année 0 de la VR. Mais on attendra de voir. Et si cela s'avère un flop?

Comment jugez-vous l'évolution de la réalité virtuelle jusqu'ici?

Je suis plutôt optimiste: l'adoption par les consommateurs est déjà énorme compte tenu de produits fondamentalement pas «consumer friendly». Le contenu et la technologie ne font que progresser. La VR s'impose déjà dans le monde de l'entreprise, particulièrement dans l'éducation, la santé ou encore l'immobilier. Dans le domaine de l'apprentissage par exemple, les entreprises avaient jusqu'à présent le choix entre un training en situation qui coûte cher en logistique et potentiellement dangereuse et celui d'une salle de classe à l'efficacité limitée. La VR permet une expérience d'apprentissage fun, personnalisée et sans risques. En termes de mémorisation des connaissances, la VR s'avère nettement plus efficace qu'un cours magistral, un manuel ou même une plateforme vidéo. Les entreprises réalisent quant à elles des économies considérables.

La réalité augmentée s'est fait connaître mondialement grâce à son hit «Pokémon Go». Pour la réalité virtuelle, on attend toujours son application de référence. Comment l'expliquez-vous ?

«Pokémon Go» a pu bénéficier du fait que la réalité augmentée est accessible sur un smartphone que tout le monde à la fois possède et sait utiliser. C'est plus facile d'avoir une application de référence quand on a déjà 2 milliards d'utilisateurs potentiels...

Y a-t-il eu une «killer app» unique pour l'App Store d'Apple? Pas vraiment, c'est la diversité du catalogue d'applications qui a permis à chacun d'y trouver son compte. Il manque encore à la VR cette profondeur ainsi que quelques projets «stars». Le langage créatif de la VR, ce n'est ni celui du film ni celui du jeu vidéo, c'est celui de l'expérience. La première génération de créateurs VR émerge à peine. Il s'est passé plus de quarante ans entre les premiers films des frères Lumière et« Citizen Kane». Il faut laisser du temps au medium, le meilleur est à venir!

Mark Zuckerberg avait fait la démonstration de conversations via avatars personnalisés dans la version immersive de Facebook. Vous pensez que cela fait sens?

L'émergence d'une version plus sociale de la VR est essentielle à la survie du medium. Une expérience, dans la vraie vie ou en VR, est d'autant plus fun qu'elle est partagée! Dans une logique de communication orale d'informations, je ne suis pas 100% convaincu de la valeur ajoutée d'un modèle comme Facebook Spaces par rapport à un appel Skype. Quand on communique avec un proche, on n'a pas besoin d'une immersion complète qui occupe 100% de l'espace visuel et auditif.

Par contre, quand il s'agit d'une logique de collaboration, la VR sociale peut s'avérer très utile. Par exemple, de multiples designers dispersés autour du monde peuvent dessiner ensemble un nouveau châssis de voiture en 3D et en temps réel.

Dans une logique de divertissement, la VR permet aussi un nouveau mode d'interactions sociales, quelque part entre la communication pure et le jeu vidéo. Sports Bar VR permet par exemple à des inconnus de se rencontrer dans un bar virtuel pour discuter, regarder un match de football à la télévision ou encore faire un billard. La VR va créer de nouveaux espaces de rencontres, des lieux impossibles dans lesquels les interactions sont pourtant bien réelles.

On en revient un peu à «Second Life», un univers qui du reste existe toujours...

Oui. Linden Labs, à l'origine de «Second Life», vient de lancer Sansar. La plateforme permet aux gens de créer et partager leur propre univers VR. L'objectif ultime est la création du Metaverse: un monde virtuel co-créé par tous et pour tous et dans lequel nous vivrons...une seconde vie.

Pour finir, quel est actuellement votre jeu de référence pour la VR?

«SuperHot VR». C'est un jeu de tir à la première personne hyper-stylisé dans lequel le temps n'avance que lorsque vous vous déplacez.

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