Catastrophes au JaponLes techniciens de Fukushima sont à bout
Les techniciens de la centrale nucléaire de Fukushima sont à la limite de leur résistance, tandis que TEPCO veut relancer un réacteur d'un autre site.
Les techniciens qui se battent sans relâche depuis le tsunami du 11 mars pour tenter de reprendre le contrôle de la centrale nucléaire de Fukushima ne sont pas seulement confrontés aux dangers liés à la forte radioactivité. Ils souffrent également d'insomnie, montrent des signes de déshydratation, d'hypertension, et risquent à terme des problèmes cardiaques ou la dépression, selon un médecin japonais qui les a rencontrés.
Depuis la catastrophe, 245 techniciens et sous-traitants, selon les chiffres de l'exploitant de la centrale Tokyo Electric Power (TEPCO), se relaient sur le site de Fukushima Dai-ichi, dans le nord-est du Japon. Des soldats, pompiers et policiers ont également été mobilisés.
Médecin épidémiologiste -il étudie la santé des populations-, Takeshi Tanigawa s'est entretenu avec 80 des techniciens intervenant à Fukushima. Le médecin, directeur du département de santé publique de l'Université d'Ehime (sud-ouest), a expliqué dans une interview par téléphone à l'Associated Press qu'il s'était plus attaché aux conséquences des conditions de travail dans la centrale qu'aux effets de la radioactivité. Celle-ci reste une préoccupation constante. Elle est si importante par endroits que des robots sont utilisés pour effectuer les relevés.
Un repos difficile
En premier lieu, a noté le médecin, les techniciens ne peuvent pas se reposer correctement. Durant leur temps de repos, ils dorment souvent à même le sol d'un gymnase, «sans intimité» ni possibilité de s'isoler. Avec cette promiscuité, «les ronflements constituent un gros problème. En temps normal, cela peut sembler amusant mais dans le cas présent, cela prive les gens de sommeil et peut amener à une mauvaise performance dans le travail», dit-il.
Conséquence, ces techniciens âgés d'une quarantaine à une cinquantaine d'années souffrent d'insomnie. Ils ne bénéficient pas d'une alimentation variée et riche en produits frais, juste «de la nourriture pour le four à micro-ondes», ni de conditions d'hygiène adéquates. Ils présentent des signes de déshydratation et d'hypertension -une conséquence possible du stress intense auquel ils sont soumis.
Rallonge pour les sinistrés
Le gouvernement japonais a approuvé vendredi une rallonge budgétaire pour déblayer les décombres, restaurer les bâtiments et construire des logements provisoires pour les dizaines de milliers de personnes sinistrées depuis le séisme. L'opérateur de la centrale de Fukushima veut relancer un réacteur d'un autre site.
Au total, le conseil des ministres japonais a décidé de soumettre au Parlement une requête de crédits supplémentaires d'environ 4000 milliards de yens (environ 43,25 milliards de francs) pour financer le début de la reconstruction dans le nord-est du pays dévasté par un séisme et un tsunami. L'examen du texte devrait débuter le 28 avril.
Cette première rallonge est destinée à la remise en état d'infrastructures publiques, l'installation de maisons provisoires, le traitement des débris et la restauration d'établissements scolaires.
«Nous voulons bâtir 30 000 habitations temporaires d'ici à la fin mai», a affirmé le Premier ministre, Naoto Kan.
25 000 milliards de yens
Une seconde rallonge, de taille «importante», sera indispensable compte tenu de l'ampleur des besoins.
L'Etat évalue à 25 000 milliards de yens (environ 270,35 milliards de francs) le coût des dégâts engendrés par la catastrophe, sans compter les conséquences de l'accident nucléaire.
M. Kan a reconnu que le recours à un surcroît d'endettement sera «nécessaire». «Il n'est pas souhaitable que la reconstruction soit empêchée par un manque de ressources financières. Nous devrons garantir des apports de fonds par l'émission de bons du Trésor et d'autres moyens», a-t-il dit.
Le Japon est déjà lesté d'une dette qui avoisine le double de son produit intérieur brut (PIB).
Critique évoquée
Les recettes fiscales étant nettement insuffisantes, le fardeau ne cesse de s'alourdir, sur fond de morosité économique lancinante depuis le début des années 1990.
Depuis vendredi, la zone de 20 kilomètres autour de centrale nucléaire accidentée de Fukushima, qui avait été évacuée dès les premières fuites radioactives, est désormais strictement interdite.
Les habitants d'autres villes seront également forcés d'être évacués prochainement.
«TEPCO a toujours dit 'Tout va bien, tout va bien'. Mais qu'est- ce qui va bien?», a demandé une vieille femme, lors d'un bref échange avec le PDG de TEPCO, Masataka Shimizu, venu présenter ses excuses aux évacués de Fukushima.
Réunion
Un peu plus tôt, M. Shimizu avait rencontré le gouverneur de la préfecture de Fukushima, Yuhei Sato, qui avait jusqu'à présent refusé une telle entrevue.
«Nous nous excusons sincèrement d'avoir été à l'origine de ce grave accident», avait-il déclaré avant de s'incliner à plusieurs reprises devant le gouverneur.
L'opérateur de la centrale TEPCO a commencé de recevoir les demandes d'indemnisations pour lesquelles il doit payer un acompte d'un million de yens (environ 10'812,90 francs) par foyer évacué de Fukushima.
Suggestion
Le maire de la cité de Minamisoma, Katsunobu Sakurai, dans cette province irradiée, fait partie des cent personnes les plus influentes de l'année, selon le magazine américain «Time». Il s'est distingué pour avoir vertement critiqué la réponse du gouvernement à cette crise atomique sans précédent.
Selon Tokyo Electric Power (TEPCO), il faudra de six à neuf mois rien que pour stabiliser la situation dans les réacteurs très endommagés de Fukushima Daiichi (numéro 1).
«Le Japon ne peut se passer de l'énergie nucléaire», a confié de son côté le numéro deux du parti de centre-gauche au pouvoir, Katsuya Okada.
Souhait
TEPCO veut terminer d'ici la fin de l'année les travaux destinés à améliorer la résistance sismique du réacteur numéro trois de la centrale nucléaire de Kashiwazaki-Kariwa, la plus grande au monde.
Trois des sept réacteurs de cette centrale sont à l'arrêt depuis un séisme qui a frappé la région en juillet 2007. Mais TEPCO doit prendre de nouvelles mesures de sécurité avant de remettre en service le réacteur d'une autre centrale, a déclaré vendredi le ministre du Commerce japonais, Banri Kaieda.
Les dirigeants locaux se sont déclarés opposés à un tel projet. (ats/ap)
Plus de 90 millions de personnes à moins de 30 km d'un réacteur nucléaire
Plus de 90 millions de personnes vivent à moins de 30 km d'une des 211 centrales nucléaires du globe, la majorité d'entre elles étant entourées d'une population bien plus dense qu'à Fukushima, selon une analyse publiée vendredi par la revue scientifique britannique Nature.
Dans un rayon de 30 km autour des réacteurs endommagés de Fukushima 1 (Japon) vivaient environ 172.000 personnes avant l'évacuation ordonnée ou conseillée de cette zone. Pour les deux tiers des centrales mondiales, la population concernée serait bien plus élevée.
Autour de quelque 21 centrales nucléaires asiatiques, nord-américaines, allemandes, britanniques, belge ou suisse, il y a pour chacune au moins un million de personnes habitant dans un rayon de 30 km. Six de ces centrales sont même entourées de plus de trois millions de personnes.
Près de 16 millions d'Américains, 9,6 millions de Chinois et autant d'Allemands habitent à moins de 30 km d'une centrale nucléaire, selon les calculs faits par Nature en partenariat avec l'université américaine de Columbia.