Votations fédéralesLes Alémaniques contre le prix unique du livre
Seuls les six cantons romands ont dit «oui» au projet de loi qui aurait marqué le retour au cartel. Le projet à été rejeté dimanche à A 56,7%.
Le prix unique du livre ne s'imposera pas de sitôt en Suisse. Les appels des partisans de la nouvelle loi à réguler le marché pour assurer la diversité culturelle sont restés vains. Leur plaidoyer en faveur des petites librairies, auteurs et éditeurs suisses n'a pas convaincu face aux inconnues concernant l'impact sur les prix et les achats en ligne à l'étranger, mises en avant par les opposants de droite et du Parti pirate.
Le peu d'entrain du Conseil fédéral, opposé au départ au prix unique, à défendre un projet adopté par le Parlement, n'a pas arrangé les choses. Au final, quelque 1,224 million de votants ont glissé un non dans l'urne contre plus de 966'500 oui.
Oui romand
Les Romands, qui ne connaissent plus le prix unique depuis 1993, ont toutefois soutenu le projet. De ce côté de la Sarine, plusieurs dissidents UDC ou PLR militaient d'ailleurs dans le camp du «oui».
Le Jura fait figure de champion avec un taux d'acceptation de 71,2%, suivi de Genève (66,6%), de Neuchâtel (63%) et de Vaud (60,6%). Les cantons bilingues ont été moins enthousiastes: Fribourg (57,5%) et Valais (57,7%). Berne a dit non à 58,8%.
Le fait qu'un taux de change excessif frappe les ouvrages importés de France a certainement joué un rôle. La nouvelle législation aurait permis à Monsieur Prix d'intervenir. Tout espoir n'est toutefois pas perdu, la Commission de la concurrence devant rouvrir son enquête sur les diffuseurs représentant les éditeurs français.
Le coup de grâce au prix unique a été porté par la Suisse alémanique, où le cartel a été interdit en 2007. Les champions du refus ont été Uri (72,8%), Schwyz (71%) et Argovie (67,9%). Le Tessin a quant à lui rejeté la loi de justesse par 53,3%.
Nouvelle loi ?
Reste à savoir si la large coalition politique qui s'était engagée pour un retour au prix unique remettra l'ouvrage sur le métier en corrigeant les aspects plus polémiques. La loi rejetée aurait permis aux éditeurs et aux importateurs de fixer les tarifs. Des remises (maximum 5%, davantage pour les ventes en gros ou à des bibliothèques publiques) auraient néanmoins été autorisées.
Le prix unique se serait appliqué à tous les ouvrages neufs rédigés dans une des langues nationales, édités ou commercialisés en Suisse, ou importés à titre professionnel. Rien d'explicite ne figurait sur le commerce en ligne transfrontalier, ce qui a fait dire à certains que les livres achetés sur des sites étrangers ne devaient pas se soumemttre aux tarifs helvétiques.
Faux, avaient répliqué les partisans de la loi, faisant valoir que la volonté du Parlement avait été claire sur ce point. Seuls les livres numériques (e-books) n'auraient pas été concernés par la loi. (ats)
Rejet probable: l'enjeu de la loi a été oublié, selon l'ASDEL
Sur le prix du livre, «les débats ont surtout porté sur la 'chèreté' du livre et oublié l'enjeu principal qui était d'agir sur la diversité culturelle», déplore l'Association suisse des diffuseurs, éditeurs et libraires (ASDEL).
Si la tendance du rejet se confirme, nous serions très déçus, a déclaré à l'ats Jacques Scherrer, secrétaire général de l'ASDEL. Il semble que les cantons romands ont voté oui, ce qui serait un résultat extraordinaire.
«La loi aurait permis de ralentir certains phénomènes comme la baisse du nombre de librairies. Sans la réglementation des prix, le quotidien des libraires sera plus difficile», redoute M. Scherrer.
La loi n'était «pas une béquille de repos mais un aiguillon» pour que les libraires puissent affronter les enjeux auxquels ils seront confrontés à l'avenir. Il rappelle qu'en Suisse romande le marché du livre est libéralisé depuis une vingtaine d'années, et depuis 2007 seulement en Suisse alémanique.
Le rejet de la loi met en péril le réseau de la librairie et donc les auteurs suisses en feront les frais, estime M. Scherrer. «Nous allons cependant continuer à travailler. Il faut que les libraires survivent.»
Economiesuisse satisfaite du rejet de la loi
Le non à la loi sur le prix du livre satisfait economiesuisse. «Nous étions opposés à une réglementation par l'Etat qui aurait induit une distorsion de concurrence», a indiqué à l'ats la Fédération des entreprises suisses.
Ce rejet est un signal positif, estime Cristina Gaggini, directrice romande de la communication chez economiesuisse. Ce rejet «démontre que la population comprend la nécessité de libéraliser les marchés.»
«Nous nous attendions à un rejet au niveau national et à un éventuel röstigraben, les Romands semblant avoir accepté la loi». Economiesuisse préconise toujours la libéralisation des marchés, qui a un impact toujours positif: cela fait baisser les prix.
«C'est un jour noir pour le livre et même globalement pour la culture»
L'Union syndicale suisse (USS) est déçue. Après le rejet de la loi sur le prix du livre, l'USS demande que la Confédération prenne des mesures d'encouragement.
En rejetant ce projet de loi, la majorité des votants a «suivi les idéologues du marché qui aimeraient étendre le marché libre à tous les domaines de la vie et sans se préoccuper des conséquences», souligne l'USS. La Suisse va faire cavalier seul par rapport aux pays voisins et cela aura des conséquences néfastes sur le marché indigène du livre.
Ce «non» fera disparaître encore plus de petites et moyennes librairies ces prochaines années ainsi que de nombreux emplois et de petites maisons d'édition, redoute l'USS. Il ne s'agit pas de scénarios-catastrophes mais de la leçon d'expériences faites dans les pays qui ont déjà renoncé au prix unique du livre, souligne l'organisation dans sa prise de position.
L'USS signale que les opposants au projet de loi avaient aussi réclamé des mesures d'encouragement appropriées des pouvoirs publics comme solution de rechange au prix réglementé. «Il faut les prendre au mot et exiger d'eux qu'ils passent désormais aux actes.»