Au nom de la laïcité, l'Etat torpille «L'Arche de Noé»

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GenèveAu nom de la laïcité, l'Etat torpille «L'Arche de Noé»

Un projet d'opéra pour enfants a été refusé par le Département de l'instruction publique (DIP). Une décision qui provoque des remous.

Jérôme Faas
par
Jérôme Faas
L'orchestre de chambre se doit de proposer des spectacles aux enfants.

L'orchestre de chambre se doit de proposer des spectacles aux enfants.

«Contraire au principe de neutralité religieuse.» La sentence de la Direction générale de l'enseignement obligatoire, tuant dans l'œuf un projet de l'Orchestre de chambre de Genève (OCG), a divisé l'Instruction publique. En février, l'Etat a en effet refusé de participer à la production de «L'Arche de Noé», opéra pour et par les enfants de Benjamin Britten.

L'œuvre au thème biblique implique de faire chanter des enfants et le public, accompagnés par un orchestre. Les paroles, connotées religieusement, sont parfois des prières telles que: «Seigneur Jésus, souviens-toi de moi et lave-moi de mon péché.»

Pour émettre un préavis négatif, le service juridique du DIP s'est appuyé sur l'article 15 de la Constitution fédérale. Celui-ci interdit de contraindre quelqu'un à «accomplir un acte religieux», assimilé ici à chanter une œuvre biblique. Le département précise: avoir accès à une œuvre, oui, bien sûr; y prendre part, non, «d'autant plus que le très jeune âge des participants ne leur permet pas de se déterminer en matière de croyance».

Ce point de vue heurte deux députés ex-enseignants. «C'est de la censure préventive, peste Jean Romain (PLR). Si on pousse l'idée, on ne pourra plus étudier «Notre-Dame de Paris» de Victor Hugo. C'est une amputation de notre culture.» Le Vert Jean-Michel Bugnion juge ce refus «démesuré. La culture est forcément religieuse. La laïcité, c'est placer toutes les religions à égalité, pas les évacuer.»

Opéra joué sans accrocs en France

«L'Arche de Noé» a été soumise au DIP par l'Orchestre de chambre (OCG) à la rentrée 2014 dans le cadre du contrat de prestations les liant: l'institution doit proposer des événements musicaux aux écoles. L'oeuvre a par ailleurs été jouée en France début 2015 par Arie van Beek, chef artistique de l'OCG et de l'Orchestre de Picardie. Sans faire de vagues. Mais l'OCG ne s'émeut pas: «Nos projets sont discutés bien en amont avec le DIP, certains sont remaniés, d'autres sont retenus, d'autres non. C'est le cas ici.»

Expert critique face à la décision genevoise

«La décision du DIP dénote une conception dogmatique de la laïcité», évalue Denis Müller, professeur de théologie et d'éthique aux Universités de Lausanne et Genève. Il juge que l'oeuvre de Britten est «une merveille, de portée universelle, sans rien de prosélytique». Le refus de l'Etat lui paraît infondé: «Il tord le sens de la Constitution.» Pour lui, «une oeuvre d'art ne suppose pas un accord idéologique avec un contenu, quel qu'il soit». Denis Müller ne voit donc «pas en quoi les enfants seraient censés adhérer au christianisme s'ils chantaient cet opéra».

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