GenèveHodgers: «les lieux pour la nuit doivent être planifiés»
Genève innove: la vie nocturne est intégrée au plan directeur cantonal. Le conseiller d'Etat explique la genèse et l'importance de cette décision.

Antonio Hodgers, conseiller d'Etat genevois et Vert chargé de l'aménagement, du logement et de l'énergie.
Keystone/Martial TrezziniJusqu'alors, les pouvoirs publics délaissaient la nuit. Elle n'était pas un enjeu de l'aménagement du territoire. Et puis, un collectif de jeunes, le «Collectif pour une vie nocturne riche, vivante et diversifiée» a empoigné le problème, fait des propositions, et été reçu par le conseiller d'Etat Vert Antonio Hodgers. Cette rencontre a porté ses fruits, puisqu'une fiche vie nocturne a été intégrée au plan directeur cantonal. C'est du jamais vu, et c'est du concret.
Antonio Hodgers, une fiche vie nocturne dans un plan directeur cantonal, est-ce une première suisse?
Le plan directeur cantonal est un outil assez nouveau. Genève est l'un des premiers cantons à l'utiliser. Mais oui, il me semble qu'il s'agit d'une première nationale.
Faut-il considérer que dorénavant, la vie nocturne est une politique publique?
Jusqu'alors, la vie nocturne n'était pas pensée en tant que telle. En termes d'aménagement, on pensait logement, écoles, voiries… Et après, pour la nuit, n'existait qu'une gestion par le Service du commerce, c'est-à-dire une régulation. Il n'existait pas de réflexion sur ce qu'on veut, pour qui on le veut, et à quel prix on le veut.
La fin des squats a enlevé beaucoup de lieux nocturnes. Or, la vie nocturne est un enjeu au même titre que les crèches ou les infrastructures sportives. Avant, on n'y réfléchissait pas, cela venait par défaut. Or, si l'on n'y pense pas en amont surgissent des problèmes tels que ceux que l'on a connus à la rue de l'Ecole-de-Médecine: cela crée des tensions avec le voisinage.
Entre le déclaratif et le contraignant, où se situe le plan directeur cantonal?
Il ne s'agit pas d'un outil déclaratif. Le plan directeur cantonal doit être validé par le Conseil fédéral, il est ensuite contraignant pour les autorités. Il s'applique dans le développement des nouveaux quartiers. S'il fixe qu'ici se trouve une zone agricole et là une zone industrielle, je ne peux pas échanger.
Cette fiche vie nocturne rend-elle possible des choses qui ne l'étaient pas auparavant?
La principale différence, c'est qu'avant, on ne se préoccupait pas de la vie nocturne. On faisait un nouveau quartier, puis on regardait si elle s'y installait ou pas. C'était le parent pauvre de l'aménagement. Le plan directeur cantonal, lui, réserve un espace pour cette vie. Il permet à des associations, aux jeunes, de se dire que là, il y a des moyens à disposition, qu'ils peuvent se concentrer sur ces périmètres. Maintenant, le plan directeur cantonal réserve ces espaces, il ne dit pas encore comment on finance ce qui s'y construira.
La fiche liste cinq lieux destinés à accueillir la vie nocturne. S'agit-il d'une liste exhaustive, évolutive?
Plus que des lieux, il s'agit de secteurs. On ne dit pas: ici il y aura une boîte de nuit, et là un café. Il s'agit donc de définir des périmètres. Maintenant, si des opérateurs privés émergent çà et là, bien sûr que cela nous convient également. L'exemple, c'est le Village du Soir.
Les jeunes du «Collectif pour une vie nocturne riche, vivante et diversifiée» sont-ils vraiment à l'origine de l'inscription de cette fiche au plan directeur ?
Oui. Ils sont motivés, super efficaces. Ce ne sont pas juste des jeunes qui veulent un truc. Ils se donnent les moyens.
Maintenant, pour faire un bref historique, dans les années 90, il existait beaucoup d'immeubles laissés vides pour des raisons spéculatives. Puis il y a eu Artamis. Le mouvement squat s'est développé, la vie culturelle était dense. Là, c'est fini. Il n'existe plus de lieux laissés vacants. Quand les jeunes du Collectif sont venus me voir, je leur ai dit : vous n'arriverez pas à reproduire les années 90, car il n'y a plus d'espaces vides. Si on veut construire des lieux pour la vie nocturne, il faut les planifier, sinon ils ne se trouveront pas dans les nouveaux quartiers. Et pour les planifier, ils doivent se trouver dans le plan directeur cantonal. La pétition que le collectif a alors lancée a été extrêmement suivie, et le mouvement a été amorcé.
Le Collectif lui-même considère que l'on est aujourd'hui au milieu du gué, qu'il va maintenant s'agir de maîtriser le foncier, de monter les projets. Est-ce votre analyse?
Le plan directeur permet de réserver les secteurs et de réfléchir. Quand des nouveaux quartiers se construisent, beaucoup de gens veulent des mètres carrés. Les crèches, les coopératives d'habitation, etc. Aujourd'hui, les milieux culturels ne sont pas autour de la table. Ils ne récoltent donc que les miettes. Cette fiche permet de leur réserver une part du gâteau. Maintenant, il faut effectivement monter les projets, et ce n'est pas simple. C'est une chose de savoir organiser des soirées, mais là, il va s'agir de véritables opérations immobilières.