«On ne voyait que ses baskets flashy ce soir-là»

Actualisé

Attentats de Paris«On ne voyait que ses baskets flashy ce soir-là»

Jeudi soir, la femme qui a balancé Abaaoud, l'organisateur des attentats de Paris, a livré un témoignage inédit à «Envoyé Spécial».

par
Marion Moussadek

«J'ai eu Abaaoud». Tel est le titre qui dit l'essentiel sans toutefois dévoiler le caractère inédit de l'émission Envoyé Spécial/Complément d'enquête diffusée jeudi soir 1er décembre sur France 2. La chaîne a pu donner la parole à la personne qui a dénoncé Abdelamid Abaaoud, au surlendemain des attentats de Paris.

Celle qu'on a appelé «Sonia» a ainsi rendu possible l'opération du Raid et de la BRI sur la planque de l'organisateur des attentats de Paris, qui a duré 7 heures le 18 novembre 2015 et qui s'est soldée par la mort de trois terroristes: les Belgo-Marocains Abaaoud, 28 ans et Chakib Akrouh, 25 ans et la Française Hasna Aït Boulahcen, 26 ans.

«Sonia» qui, entre aides sociales et petits boulots au noir, peine à joindre les deux bouts, a pourtant recueilli Hasna, la cousine d'Abaaoud, parce que c'est «une jeune fille un peu paumée». On devine que cette mère de famille, bénévole dans une association pour les défavorisés, a le coeur sur la main.

Dans l'intimité d'Abaaoud

Le téléspectateur se retrouve ainsi presque plongé dans le cercle intime de l'organisateur le jour même des attentats et les jours suivants, jusqu'à l'opération anti-terroriste de Saint-Denis. Le 13 novembre 2015, Hasna «est très stressée» et donne de nombreux coups de fil. Le soir, elle regarde le match de football France-Allemagne à la télévision avec le compagnon de «Sonia» et leurs deux enfants.

Et puis, vient l'explosion du Stade de France. Hasna sourit. Le bandeau «Vague d'attentats à Paris» ne tarde pas à s'afficher sur la petite lucarne. Cette fois, Hasna jubile. «Sonia», qui a observé avec circonspection le glissement de Hasna de la mini-jupe à son costume de «Dark Vador» comme elle dit, est atterrée. Elle ne comprend pas. Elle, elle pleure devant le carnage. «Ils n'ont qu'à tous crever, c'est tous des mécréants», lui lance Hasna, en guise de réponse à son désarroi.

Le lendemain soir, Sonia et son compagnon acceptent d'accompagner à Aubervilliers Hasna, qui n'a pas de permis de conduire et leur raconte qu'un de ses jeunes cousins est en galère. Sur place, Hasna saute dans les bras de son cousin, qui n'est autre qu'Abaaoud, comme le couple ne tarde pas à le comprendre. «Là, quand vous comprenez que vous venez de serrer la main à un assassin, vous avez envie de vous la couper», raconte «Sonia», dans la pénombre de la caméra.

La police sceptique

De retour dans leur appartement, Sonia tente de convaincre Hasna de dénoncer son cousin à la police. Quand elle comprend que la jeune fille, qui en est éperdument amoureuse, ne le fera jamais, Sonia prend ses responsabilités et décide de le faire elle-même.

Face à la police, le lundi 16 novembre 2015, il faut convaincre. Premier coup de fil. «Vous savez, on a tellement de gens qui nous appellent...». Sonia: «Mais moi, je vous appelle pas pour Abdelslam, j'ai mieux!». Sur place, les recoupements traînent en longueur. Sonia n'a plus de batterie et s'impatiente. Hasna, qui est à ses trousses depuis le buisson d'Aubervilliers l'avant-veille, risque de deviner qu'elle est en train de «balancer». La police lui amène un chargeur. On lui promet l'anonymat. Un détail rend enfin crédible le témoignage: les baskets oranges, aperçues sur les caméras de la RATP, du terroriste. «On ne voyait que ses baskets flashy cette nuit-là», raconte Sonia.

Mais Abaaoud a enfin trouvé une vraie planque et la localisation du buisson donnée par Sonia n'est plus valable. Sonia se retrouve dans le rôle de «l'indic'», essayant tant bien que mal d'avoir des informations sur la nouvelle cache, alors qu'Hasna est devenue méfiante. Elle l'obtient. La transmet. Le 18 novembre 2015, c'est l'assaut final.

Sonia est «entre deux vies»

Contrairement à ce qu'on lui avait promis, le nom de «Sonia» apparaît dans tous les rapports. La France n'a pas pu lui accorder «le statut de témoin sous X» car il eut fallu qu'elle n'eût aucun lien avec l'affaire. Le pays pense ainsi se prémunir contre les faux repentis. En attendant, «Sonia» ne peut plus utiliser son identité. Ne peut plus travailler. Ne peut plus fréquenter ses amis. Doit déménager. Vit recluse depuis plus d'un an, sans le sou. Elle est «entre deux vies» mais «ne regrette rien»: «Si c'était à refaire, je le referai!», dit-elle sans l'ombre d'une hésitation.

En juin dernier, la France a voté une nouvelle loi instaurant le statut de témoin protégé, comme aux Etats-Unis. Elle devrait bientôt entrer en vigueur. «Sonia» et ses enfants pourront alors renaître.

Ton opinion