FranceEx-FN, elle devient passeuse par amour
Une quadragénaire, ancienne votante Front national, est tombée amoureuse d'un migrant iranien, à Calais. Elle a été jugée mardi pour l'avoir fait passer en Angleterre, mais est dispensée de peine.

Béatrice Huret est veuve d'un policier aux frontières.
AFPLe scénario est digne d'un film hollywoodien: Béatrice Huret, 45 ans, ex-sympathisante d'extrême droite tombée amoureuse de Mokhtar, un migrant iranien de la «Jungle» de Calais, était jugée mardi en France pour l'avoir aidé à passer en Angleterre, «par amour». «J'attends de ce procès qu'on comprenne ce que j'ai fait et pourquoi je l'ai fait. Je sais ce que j'ai fait. J'assume parfaitement», a dit Béatrice Huret, habillée en costume sombre et portant de hauts talons, à son arrivée au tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer (nord).
«Le but de ma vie c'est lui (Mokhtar, ndlr). Je suis prête à lui donner ma vie. La seule chose qui m'embêtera, c'est de ne plus voir Mokhtar si je suis en prison», a ajouté Mme Huret, avant que le procès débute.
Aucune peine
La justice française l'a reconnue coupable d'avoir fait passer un Iranien en Grande-Bretagne, mais l'a dispensée de peine. Les magistrats du tribunal de Boulogne-sur-mer (nord) n'ont pas retenu contre elle les circonstances aggravantes de «bande organisée» ou de «mise en danger d'autrui», comme l'avait demandé l'accusation. La prévenue, 44 ans, s'est dite, auprès de l'AFP, «soulagée» par cette décision.
Soupçonnée d'avoir organisé «le passage d'étrangers au Royaume-Uni et en assurant leur prise en charge (...) en bande organisée», elle risquait jusqu'à 10 ans de prison, notamment pour avoir fait passer son amoureux en bateau vers la «terre promise» anglaise en juin 2016.
Une vie routinière avant le «choc»
Veuve d'un policier aux frontières, formatrice pour adultes, Béatrice Huret menait une vie routinière. Sa vie bascule une première fois en février 2015 quand elle découvre la «Jungle» de Calais «par hasard», en prenant en stop un jeune réfugié soudanais qu'elle dépose à l'entrée du camp. «Cela a été un choc», expliquait-elle début juin à l'AFP.
La «Jungle», où de 6000 à 8000 migrants vivaient dans un bidonville insalubre, avec l'espoir de passer en Angleterre, a été démantelée en novembre 2016 par les autorités françaises.
Un «coup de foudre»
Béatrice Huret décide de devenir bénévole. Un an plus tard, elle croise le regard de Mokhtar pour la première fois. Il fait partie des migrants iraniens qui se sont cousu la bouche pour protester contre le démantèlement d'une partie du bidonville. C'est «un coup de foudre», confie-t-elle.
Après avoir perdu sa trace, elle accepte des mois plus tard via une connaissance de la «Jungle» d'accueillir Mokhtar et un autre Iranien à son domicile, où elle vit avec sa mère, 76 ans, et son fils Florian, 19 ans.
«Je l'ai fait par amour»
Leur relation débute: «Mokhtar m'a rendu le goût de l'amour oublié», écrit cette ancienne électrice du parti d'extrême droite Front national, pour qui elle votait «sans se poser de questions».
Désireux de rejoindre l'Angleterre coûte que coûte, Mokhtar tente un passage en camion. Échec. Vient alors l'idée d'acheter un bateau pour la traversée - périlleuse - du détroit, une pratique peu courante. Béatrice Huret achète un bateau sur internet et organise la traversée de Mokhtar et deux autres Iraniens le 11 juin 2016.
Son nouveau compagnon de 37 ans, ex-professeur de persan en Iran, vit maintenant à Sheffield, dans le nord de l'Angleterre où il a obtenu un permis de travail. Il reçoit régulièrement la visite de Béatrice Huret... Qui est interpellée à son travail mi-août et placée en garde à vue.
Elle écrit un livre
Accusée d'être une passeuse, elle rétorque dans son livre («Calais, mon amour», ed. Kero): «j'ai amené un bateau sur une plage. Point. Je l'ai fait par amour (...), ça ne m'a rien rapporté».
Mais selon l'accusation, les mis en cause faisaient bien partie d'une structure organisée de passeurs de migrants, occasionnant de juteux profits pour certains d'entre eux. En outre, Béatrice Huret aurait déposé deux autres Iraniens dans un bois du Pas-de-Calais (face aux côtes anglaises) à proximité de camions mi-juillet, bien après le passage de Mokhtar.
«Ma cliente a fait tout ça pour raison humanitaire. Je ne vois pas comment on va pouvoir retenir la bande organisée», a indiqué à l'AFP Me Marie Hélène Calonne, qui plaidera la relaxe. (nxp/afp)