«Sortir, c'est un acte militant, un acte de joie»

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Attentats à Paris«Sortir, c'est un acte militant, un acte de joie»

Entre la tristesse, la peur et la demande du gouvernement de ne pas quitter leur domicile, le coeur des Parisiens n'était pas à la fête. Reportage.

Joël Espi
par
Joël Espi
23.06 Selon Le Soir, Salah Abdeslam a été retenu pendant 30 minutes par des gendarmes français, le 14 novembre. Ils n'avaient pas reçu d'informations concernant sa radicalisation.
16.06 Un lycéen de 17 ans raconte à BFM TV sa rencontre avec Salah Abdeslam, avec qui il a passé une partie de la nuit qui a suivi les attentats du 13 novembre 2015.
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L'ambiance est lourde à Ménilmontant, peu après 23h, le samedi 14 novembre. Dans l'un des quartier qui est habituellement l'un des plus animés de Paris, les rues paraissent quasiment désertes. Le matin, on avait aperçu les devantures fermées des bars de nuit. On se disait qu'on retournerait les voir plus tard. Le soir, beaucoup avaient renoncé à ouvrir.

En descendant la rue Oberkampf, qui mène au Bataclan, l'ambiance est morne. Quelques personnes prennent des verres dans des bars, des restaurants, on entend ça et là du blues, de l'électro, on voit même des gens sourire. Des éclats de joie un peu dérisoires. Les citoyens ont été invités à rester chez eux, et la rue habituellement noire de monde le week-end est quasiment déserte. «Monsieur, on va fermer.» Devant La Mercerie, le videur répète aux rares clients les mots qu'il prononce habituellement à 5h du matin. «Regardez...», répond-il en balayant les environs du regard, lorsqu'on lui demande si le quartier est différent par rapport à l'habitude. «C'est une ambiance lunaire», analyse-t-il.

A une terrasse, deux jeunes femmes, un peu dans leur monde et seules, s'embrassent. Souriantes, Anne et Isabelle ne pouvaient pas s'imaginer rester chez elles à ruminer. «Beaucoup de gens passent leurs soirées dans des appartement, à refaire le monde», raconte Anne. Les appels des proches, la peur, les infos en continu, Isabelle en a eu un peu marre. Pour elle, c'était presque une chance d'avoir eu à travailler samedi. «Cela m'a permis de déconnecter». A peine le temps de discuter un peu de ce «retour à la réalité» que, sur les coups de 23h30, un employé du bar annonce sa fermeture imminente.

"C'était important de sortir"

A la différence du Paris festif, celui des week-ends, l'on n'entend pas de cris de joies, de gens qui parlent fort ou font les idiots. Un groupe d'amis assis plus bas dans la rue ne déroge pas à cette nouvelle règle. Une trentenaire ose malgré tout déclarer que sortir ce soir-là, «c'est un acte militant de joie». «On s'attendait à voir plus de monde», confie son pote, qui dit comme le reste du groupe avoir «la gueule de bois». La peur, ils y pensent, mais n'ont pas envie d'y céder. Force est de constater pourtant que eux et leur entourage ne parlent que de «ça» depuis la veille,. Dans le quartier, c'est comme si «tout le monde retenait son souffle».

Sur l'Avenue de la République, en se rapprochant encore du Bataclan, un groupe d'amis est d'humeur festive dans la verrière du café Anémone. Verres de vin et victuailles sur une grande table. Ca rigole, ça parle fort, ça vit. Margaux, pétillant petit bout de femme, est heureuse de nous voir. « Sur Twitter, on lancé le hashtag #occupyterrasse!», lance-t-elle aussitôt, enthousiaste. Cette journaliste s'interdit de se laisser gagner par le climat morne.

«Nous sommes tous choqués, mais c'était super important pour nous de sortir normalement», explique-t-elle. A ses côtés, Antoine renchéri: «Ils ont attaqué la culture parisienne! Il n'y a pas plus parisien que de sortir le week-end, dans ce quartier, sur une terrasse». De son côté, le gérant du café explique que le lieu est normalement bondé. Par mesure de sécurité, il a signalé à la police que son établissement était ouvert. On sort, un individu à l'air un peu illuminé, poussant un vélo, nous accoste. «Etes-vous en sécurité Messieurs-Dames?», sourit-il d'un air un peu fou. «Oui, bon, c'est bien. Bonne soirée!» Et de repartir avec son ami, qui nous salue également. Paris, normalement, c'est aussi ça.

"Nous voulions rendre hommage aux victimes"

A deux pas du Bataclan, là où des journalistes du monde entier viennent faire leurs directs, des clients sirotent des pintes, dans le calme. Trois amis, un homme et deux femmes vivant dans le quartier, discutent. Leur présence aussi près des lieux du drame n'a rien d'anodin. «On avait envie de rendre hommage aux victimes. On voulait être joyeux... mais c'est compliqué», explique Pierric. Lui aussi a bien compris la symbolique que les terroristes ont voulu attaquer. «On sait qu'on habite dans un des quartiers les plus sympas de Paris. Des gens de toute la ville viennent boire des coups ici. Les terroristes détestent notre liberté, ils ont voulu nous le montrer», analyse-t-il. Et d'ajouter que Charlie Hebdo, c'était à 200 mètres de là...

Encore un lieu symbolique, encore un lieu désert. A deux pas des rues qui ont été le théâtre de la fusillade devant Le Petit Cambodge et Le Carillon, les abords du canal Saint-Martin sont quasiment déserts. Un groupe de jeunes filles anglophones cherchent des feuilles à rouler, deux autres jeunes sont assis au bord de l'eau, là-même où, durant les beaux jours, il est impossible de trouver une place pour s'asseoir.

Dans un bar irlandais, le calme. Les serveurs confient, comme partout, que l'ambiance est triste. De l'autre côté, Chez Prune, on retrouve ce qui ressemble le plus à une atmosphère de week-end dans le 11e arrondissement. Plusieurs tables sont occupées, la musique - du hip hop old school - est forte. Les barmen chambrent les clients, font les cent pas. On se croirait presque à Paris un samedi soir. Avant qu'un employé, qu'on interroge, raconte que la veille il a entendu des coups de feu. «On a dû fermer les rideaux et rester à l'intérieur du café pendant un long moment. C'était le bordel dehors, un défilé d'ambulances et de voitures de police.» Avant d'ajouter que, comme après les attentats du 7 janvier, la vie reprendra progressivement son cours.

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