Fermeture de Cardinal«C'était une belle institution romande!»
Un brasseur artisanal genevois pose son regard sur la fermeture de l'industrie fribourgeoise. Il évoque également le changement de comportement des consommateurs.

La conjoncture actuelle semble plus propice pour les brasseries artisanales, comme celle des Murailles (à gauche), que celles de moyenne taille, comme Cardinal. (Photo: dr/Reuters)
«Ça me fait bizarre», lance Philippe Margand en apprenant la nouvelle de la fermeture de l'usine Cardinal de Fribourg. Le propriétaire de la brasserie artisanale des Murailles, installée à Meinier dans la campagne genevoise, connaît bien les amateurs de bière fribourgeois, pour y exporter une partie de sa production. «Cardinal était une belle institution romande. Et pour les Fribourgeois c'était quelque chose de grandiose.»
Actif dans le domaine depuis une dizaine d'années, mais professionnel depuis 2004 seulement, Philippe Margand analyse avec philosophie les habitudes des consommateurs de bière. Comme d'autres observateurs, il constate que leur comportement change. Ils semblent préférer boire mieux, même si ça veut dire boire moins. «Nos clients n'ont plus trop envie de consommer des produits industriels. Et ils font la démarche de chercher autre chose, des bières plus typées, même si ça leur coûte un peu plus cher.»
La fermeture de Cardinal semble donc refléter l'état actuel du marché de la bière suisse, voire européen. Les géants comme Carlsberg – qui détient Feldschlösschen – s'en sortent bien grâce aux volumes de leurs ventes. Et les petites brasseries artisanales tirent leur épingle du jeu en fidélisant une clientèle d'amateurs, davantage que de consommateurs. Mais entre les deux extrêmes, la situation est plus difficile.
Et pour preuve du dynamisme du secteur des brasseries artisanales, Philippe Margand annonce qu'il espère pouvoir agrandir son entreprise au milieu de l'année prochaine. Il passerait alors d'une production annuelle de 130'000 litres à une capacité de 400'000 litres.
Un déménagement qui laisse un goût amer aux politiciens
Béat Vonlanthen, président du Conseil d'Etat fribourgeois: «Le gouvernement s'oppose à la fermeture de la brasserie Cardinal, qui fait partie du patrimoine fribourgeois. Mais ce ne sera pas facile de convaincre les dirigeants de Feldschlösschen.»
Dominique de Buman, conseiller national PDC et ancien syndic: «J'ai la boule au ventre. Fribourg perd une partie de son âme. C'est une très grande tristesse, liée à la tradition brassicole fribourgeoise qui tend à disparaître totalement au niveau industriel.»
Pierre-Alain Clément, syndic de Fribourg: «Nous subissons les effets de la globalisation de manière forte. J'espère que les mesures qui seront prises permettront d'éviter que même un seul employé ne pâtisse de cette décision.»
Thomas Metzger, patron de Feldschlösschen: «La bière Cardinal, numéro deux sur le marché helvétique, sera brassée selon la recette originale à Rheinfelden. Cardinal reste un pilier du portefeuille de Feldschlösschen.»
Une blonde terne
Cardinal est LA bière romande. «Cest aussi la raison pour laquelle beaucoup de Romands disent ne pas aimer la bière», raille Laurent Mousson. Le vice-président de lEuropean Beer Consumers Union (Union européenne des buveurs de bière) regrette le coût humain de la fermeture. «Mais pour le goût, je ne vais pas pleurer ce départ.» La Cardinal a peu de caractère, comme beaucoup de lagers industrielles, selon lui. La Boxer et la Valaisanne restent brassées de ce côté de la Sarine. Quant à la Brasserie des Franches-Montagnes et à celle des Trois Dames à Sainte-Croix, elles tournent à plein régime.