SuisseUn électron placé dans un double état
Suivant une hypothèse des années 1970, des chercheurs ont réussi à placer un électron dans un double état: ni libéré ni lié.

Plusieurs expériences ont déjà tenté de confirmer l'hypothèse avancée à l'époque par les théoriciens Kramers et Henneberger et qui veut qu'un électron puisse être ni libéré ni lié.
UNIGE - Xavier RavinetDes chercheurs genevois et allemands ont pour la première fois placé un électron dans un double état: ni libéré ni lié. Ils confirment ainsi une théorie des années 1970.
Les atomes sont formés d'électrons autour d'un noyau central auquel ils sont liés. Les électrons peuvent aussi être arrachés – ionisés – de leur noyau à l'aide du champ électrique puissant d'un laser.
Plusieurs expériences ont déjà tenté de confirmer l'hypothèse avancée à l'époque par les théoriciens Kramers et Henneberger et qui veut qu'un électron puisse être ni libéré ni lié.
Piégé dans un laser, l'électron serait forcé de passer et repasser devant son noyau et subirait ainsi le champ électrique du laser combiné à celui du noyau.
Ce double état permettrait de contrôler les électrons soumis à la fois au champ électrique du noyau et du laser et ouvrirait la voie à la création de 'nouveaux atomes', du point de vue de leur structure électronique.
Théories actuelles
Les théories actuelles déclarent que plus le laser est intense, plus il est facile d'ioniser l'atome, c'est-à-dire d'arracher les électrons au champ électrique de leur noyau et de les libérer dans l'espace.
«Mais une fois l'atome ionisé, les électrons quittent non seulement le champ électrique du noyau de l'atome, mais aussi celui du laser», explique Jean-Pierre Wolf, professeur à la Section de physique de l'Université de Genève (UNIGE), cité lundi dans un communiqué de cette dernière.
«Nous avons alors voulu savoir s'il était possible de les piéger dans le laser, une fois libérés de leur noyau, comme le suggère l'hypothèse de Kramers et Henneberger», ajoute-t-il.
Moduler l'intensité du laser
Le seul moyen d'y parvenir est de trouver la bonne forme de l'impulsion du laser à appliquer, afin d'imposer à l'électron des oscillations parfaitement semblables pour que son énergie et son état restent stables.
«En effet, l'électron oscille naturellement dans le champ du laser, mais ces oscillations ne sont pas régulières et poussent l'électron à changer sans cesse son niveau d'énergie et donc son état, c'est pourquoi il s'échappe du champ électrique du laser», complète Mikhail Ivanov, professeur au Max Born Institut (MBI) de Berlin.
Les physiciens ont testé plusieurs intensités de laser pour tenter d'obtenir la régularité des oscillations de l'électron libéré de son noyau. Ils ont alors fait une découverte inattendue.
«Contrairement aux théories actuelles qui suggèrent que plus le laser est intense, plus il est facile d'ioniser l'électron, nous avons découvert qu'il y a une limite d'intensité où nous ne pouvons plus ioniser l'atome», constate Mikhail Ivanov. «Passé ce seuil, nous retrouvons la possibilité de le juguler».
Les chercheurs ont nommé cette limite «Vallée de la mort», sur proposition du Pr Joe Eberly, de l'Université de Rochester (USA). Dans cette «zone de non-droit», les physiciens perdent tout pouvoir sur l'électron.
Seuil franchi
Après plusieurs réglages, les physiciens de l'UNIGE et du MBI ont réussi à libérer l'électron de son noyau, puis à le piéger dans le champ électrique du laser, comme le suggéraient Kramers et Henneberger.
«En appliquant une intensité de cent mille milliards de watts par cm2, nous avons pu franchir le seuil de la Vallée de la mort et piéger l'atome dans un cycle d'oscillations régulières au sein du champ électrique du laser», s'enthousiasme Jean-Pierre Wolf. A titre de comparaison, l'intensité du Soleil sur la Terre est de l'ordre de plus de 1300 watts par m2.
Les chercheurs ont ainsi trouvé le moyen de manipuler les oscillations de l'électron comme ils le souhaitent. «Cela nous offre la possibilité de créer de nouveaux atomes habillés par le champ du laser, avec de nouveaux niveaux d'énergie des électrons», conclut le Pr Wolf.
Ces travaux, publiés dans la revue Nature Physics, vont jouer un rôle fondamental dans les théories et les prédictions sur la propagation des lasers intenses, selon leurs auteurs. (nxp/ats)