Le Conseil fédéral veut endiguer le tourisme de la mort

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Projet en consultationLe Conseil fédéral veut endiguer le tourisme de la mort

Les organisations d'aide au suicide pourraient être interdites de Suisse. Le Conseil fédéral met cette idée en consultation jusqu'au 1er mars.

Mais il envisage plutôt de réglementer les méthodes de travail d'Exit et Dignitas: seuls les malades incurables pourraient avoir recours à leurs services.

Ces organisations aident actuellement quelque 400 personnes à mettre fin à leurs jours chaque année, dont près d'un tiers venant de l'étranger. En proposant une réglementation, le Conseil fédéral veut éviter les abus et endiguer le «tourisme de la mort», a déclaré Eveline Widmer-Schlumpf devant la presse.

Divisé sur les solutions à apporter au problème, le gouvernement a mis finalement deux variantes en consultation. La proposition d'interdire l'assistance organisée au suicide, chère à Pascal Couchepin - «c'est un projet de mort et moi je soutiens les projets de vie» -, n'a pas les faveurs de la majorité du collège.

Mort digne

Interdire cette pratique pousserait les organisations vers la clandestinité, avec un risque majeur de dérives, a souligné la ministre de la justice. «Au nom du droit à l'autodétermination et à une mort digne», le gouvernement privilégie une législation stricte à la prohibition.

La réglementation proposée se base sur une extension du code pénal, avec des peines en cascade allant jusqu'à cinq ans de prison. Les collaborateurs des organisations d'assistance au suicide pourront aider une personne à mettre fin à ses jours pour autant qu'elles respectent nombre de conditions.

Maladie incurable

La décision du suicidant devra être exprimée librement et être «mûrement réfléchie». En guise de preuve, le gouvernement exige deux avis. Deux médecins indépendants de l'organisation devront attester l'un que l'intéressé est capable de discernement, l'autre qu'il est atteint d'une maladie physique incurable «dont l'issue sera fatale à brève échéance».

Mais pas question pour Mme Widmer-Schlumpf de préciser comment comprendre cette notion de «brève échéance», la question étant du ressort du médecin, selon elle. La nécessité de présenter deux avis médicaux séparés devrait éviter les décisions impulsives et réduire le nombre de suicides de personnes venues expressément de l'étranger, selon elle.

Le gouvernement a en outre exclu l'aide au suicide pour des personnes atteintes de maladie chronique ne menant pas à la mort ou d'une affection psychique. «Les soins palliatifs doivent permettre à ces personnes de continuer à vivre dans la dignité», selon la conseillère fédérale.

Ultima ratio

Pour elle, «l'aide au suicide doit être la dernière solution». Ainsi, celui qui accompagne le suicidant devra lui présenter des alternatives. Le médicament utilisé pour amener la mort sera prescrit par un médecin, qui aura posé un diagnostic et une indication en vertu des devoirs et de l'éthique professionnels du corps médical.

Il est impossible de cautionner des suicides avec de l'hélium ou d'autres méthodes provoquant la souffrance, a dit Eveline Widmer- Schlumpf en rappelant une pratique controversée de Dignitas.

Le gouvernement veut en outre éviter que l'assistance organisée au suicide ne devienne une activité orientée vers le profit. Il sera interdit à celui qui accompagne le mourant d'accepter une contre- prestation excédant la couverture des frais occasionnés par sa prestation.

Enfin, l'organisation d'assistance au suicide et ses collaborateurs devront établir une documentation complète sur chaque cas, afin de faciliter une éventuelle enquête des autorités de poursuite pénale. Le but est aussi de pouvoir contrôler le financement de ces organismes, selon la Grisonne.

Promesse à moitié tenue

La question de l'aide organisée au suicide est un serpent de mer. Jusqu'ici, le Conseil fédéral a toujours justifié son refus de légiférer en affirmant qu'une réglementation de portée générale ne permettrait pas de répondre à toutes les questions délicates qui se posent dans chaque cas de figure.

En 2000 déjà, l'exécutif avait choisi le statu quo alors qu'il était censé trancher sur un rapport commandé par l'alors conseillère fédérale Ruth Metzler. Les experts y recommandaient de dépénaliser même l'euthanasie active directe, afin de soulager des malades incurables de souffrances insupportables.

Malgré l'insistance du Parlement, Christoph Blocher n'a jamais voulu légiférer. Sa successeure a finalement repris le dossier et a réussi à le soumettre aux milieux intéressés lors de la dernière séance de Pascal Couchepin au Conseil fédéral. «Il m'avait fait promettre de boucler le dossier avant son départ, mais il a démissionné trop tôt», a plaisanté Mme Widmer-Schlumpf. (ap)

Dignitas brandit déjà la menace du référendum

Dignitas et Exit sont très critiques envers les deux variantes mises en consultation mercredi par le Conseil fédéral visant à règlementer l'aide au suicide. Dignitas brandit la menace du référendum, convaincu de l'emporter devant le peuple en cas de votation.

En supprimant l'aide au suicide pour les malades chroniques ou psychiques, «le Conseil fédéral privilégie les suicides solitaires sur des voies de chemins de fer ou depuis des ponts élevés», dénonce Dignitas dans un communiqué. «C'est un affront pour toutes les personnes qui souffrent par exemple de sclérose en plaques ou d'autres maladies nerveuses graves».

En imposant le recours à deux médecins indépendants, le Conseil fédéral restreint de manière inacceptable la liberté de chacun et renchérit l'accompagnement dans la mort, poursuit l'association d'aide au suicide.

Pour Exit, il est «inacceptable» de restreindre l'aide au suicide pour des personnes qui souffrent d'une maladie incurable ou qui mènera dans de brefs délais à la mort. Cette disposition supprime pratiquement le droit des patients à l'autodétermination, abonde Walter Fesenbeck, membre du comité directeur d'Exit.

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