Affaire CarPostalLa directrice de La Poste mise sous pression
Doris Leuthard se dit déçue par l'affaire CarPostal. Plusieurs parlementaires aimeraient que la directrice du géant jaune Susanne Ruoff parte.

La directrice de La Poste Susanne Ruoff était au courant depuis août 2013 au moins.
KeystoneLe dossier CarPostal Suisse SA prend de l'ampleur. La directrice de La Poste Susanne Ruoff était au courant depuis août 2013 au moins, selon le Blick. Dans une prise de position, la ministre des transports et de la communication Doris Leuthard demande que toute la lumière soit faite et que tous les documents soient remis rapidement à son département.
Un rapport du contrôle interne relevait que «la direction de CarPostal est consciente des risques mais ne voyait aucune autre option compte tenu des objectifs de rentabilité qui lui ont été fixés».
Cette pratique a été approuvée par la direction de CarPostal, selon ce document. En 2011, les transferts ont totalisé 11 millions de francs, 19 millions en 2012. Ces chiffres correspondent aux données figurant dans le rapport de l'OFT qui a révélé les irrégularités.
Le directeur renvoyé mardi, Daniel Landolf, expliquait le problème dans une lettre envoyée à la fin décembre 2017. Il devait réaliser les objectifs donnés par La Poste, or il ne pouvait enregistrer des plus-values que dans le trafic passager régional, ce qui est interdit par l'OFT... Il y rappelait que ce conflit d'objectifs est connu depuis des années et que la pratique était «connue et acceptée» au sein du groupe.
Pour Susanne Ruoff, il ne faut pas tout mélanger. «Le conflit d'objectifs et les pratiques comptables illégales sont deux choses différentes», a expliqué la porte-parole de La Poste, Léa Wertheimer. La direction et le conseil d'administration étaient conscients qu'il y avait des problèmes mais pas qu'il y avait des bénéfices illégaux, a-t-elle ajouté.
Pression politique
La pression politique monte d'un cran pour la directrice de La Poste, Susanne Ruoff. Après les révélations de la presse jeudi selon lesquelles elle était au courant des manipulations comptables de CarPostal, des parlementaires veulent qu'elle en tire les conséquences.
Pour Roger Nordmann, chef du groupe socialiste au Parlement, c'est clair: «Je crois qu'elle ne peut plus conserver son poste», a-t-il dit dans l'émission de la radio alémanique Rendez-vous. La confiance est rompue, ajoute-t-il. Sa collègue de parti Edith Graf-Litscher, qui préside la commission des transports au conseil national abonde dans son sens.
Dans les rangs bourgeois, il n'y a guère plus de compréhension envers Susanne Ruoff. «Si ces accusations sont vraies, elle doit être suspendue jusqu'à ce qu'à la fin de l'enquête», a déclaré Ulrich Giezendanner (UDC/AG) sur les ondes de la radio SRF. Il aurait attendu dès mardi une prise de position du président du conseil d'administration, Urs Schwaller.
Pour le conseiller national Thierry Burkart (PLR/AG), La Poste doit maintenant mettre les cartes sur la table et expliquer exactement de quoi il retourne. Il faudra dans un deuxième temps en tirer les conséquences personnelles. Enfin, il reviendra au politique de réfléchir à la manière de faire pour qu'une telle affaire ne se reproduise plus.
Les cantons demandent des comptes
Si le montant des subventions indûment perçues a été estimé dans un premier temps à 78,3 millions de francs, on parle désormais de 107 millions pour la période allant de 2007 à 2016. Et le total pourrait être encore plus élevé, explique le Tages-Anzeiger dans son édition du 8 février 2018.
«CarPostal devra probablement rembourser entre 120 et 130 millions de francs, parce que les subventions se sont poursuivies jusqu'à la fin 2017», estime le ministre jurassien de l'environnement David Eray. Les cantons sont en effet en première ligne et ils n'entendent pas lâcher l'affaire.
Déjà plusieurs alertes
La Conférence des directeurs cantonaux des transports publics (CTP) avait demandé en 2011 déjà à l'Office fédéral des Transports (OFT) de vérifier les comptes de CarPostal. Elle s'interrogeait dans une lettre du 5 juillet sur la constitution de réserves excessives dans le secteur du transport régional.
Un an plus tard, les cantons de Vaud, Neuchâtel, Jura et Berne sommaient l'OFT de se pencher sur la gestion de la filiale de La Poste. Qui venait de demander pour 2013 une augmentation de ses subventions de 17 à 27%.
Dans leur lettre, les cantons critiquaient le manque de transparence de l'entreprise, ses offres voilées et ses comptes empêchant toute évaluation de la véritable situation financière.
Colère de sous-traitants
Autant de révélations qui enragent les sous-traitants de CarPostal. La filiale de La Poste compte 2400 employés mais elle fait également recours à des prestataires privés. Dans toute la Suisse, il s'agit de 150 entreprises et de 1700 personnes. Des entrepreneurs qui se battent depuis des années pour chaque centime, comme le raconte l'Aargauer Zeitung.
CarPostal Suisse SA leur paie depuis 20 ans un montant inchangé de 60 centimes par kilomètre, ne répercutant pas l'inflation dans ses tarifs. Durant cette période, les coûts de maintenance mécanique pour les prestataires sans atelier sont passés de 95 à 150 francs.
Les exploitants privés de bus postaux sont représentés par l'association Bus CH, présidée par le conseiller national Walter Wobmann (UDC/SO). Ce dernier fulmine, affirmant que «nous avons été pressés comme des citrons durant des années».
Si CarPostal avait distribué ses bénéfices illégaux, peut-être que les sous-traitants auraient fermé les yeux, admet-il. Mais ce n'est pas le cas, d'autant plus que la filiale de La Poste prétendait souffrir d'un manque de ressources et qu'elle laissait dépérir des entreprises familiales.
Les cantons veulent être impliqués
Les cantons souhaitent être impliqués dans la reconstruction des opérations concernant l'affaire des bénéfices illégaux de CarPostal Suisse SA. Cela vaut à la fois pour les modalités du remboursement et pour les conclusions à en tirer pour l'avenir, estiment-ils.
Il convient notamment d'examiner les adaptations juridiques qui s'imposent dans le cadre de la réforme en cours du transport régional de voyageurs, écrit mardi la Conférence des directeurs cantonaux des transports publics (CTP) dans un communiqué.
Les cantons sont eux aussi concernés par l'affaire, rappellent-ils. Avec la Confédération, ils subventionnent les transports publics pour la desserte régionale à hauteur de quelque 2 milliards par an.
De ceux-ci, 340 millions de francs sont versés à CarPostal. L'Office fédéral des transports (OFT) a assuré aux cantons qu'ils seraient bel et bien impliqués dans la reconstruction des opérations, précise le communiqué.
Le conseil d'administration réagit
Le conseil d'administration de La Poste prend l'affaire de CarPostal en main. Compte tenu des critiques adressées à La Poste et du rapport de l'Office fédéral des transports (OFT) sur les irrégularités de CarPostal, les experts chargés des investigations rendront rapport directement au président, Urs Schwaller.
Le président du conseil d'administration est en étroit contact avec la direction, indique jeudi un communiqué de La Poste. «Des discussions intenses se sont poursuivies aujourd'hui avec la directrice, la 'Taskforce' interne et les experts externes», précise le texte.