InternetLe téléchargement dans le viseur de Berne
Un groupe de travail fédéral propose d'interdire les sites qui permettent de télécharger de la musique ou des séries qui pourraient être piraté. Une idée vivement critiquée.
Sous le nom d'«Agur12», ce groupe de travail a rédigé cette proposition sur demande de la ministre de la Justice Simonetta Sommaruga. Il demande d'une part que les fournisseurs d'accès préviennent les internautes lorsqu'ils téléchargent du contenu «provenant de sources problématiques» mais aussi de bloquer l'accès aux plateformes qui le proposent, annonçait dimanche la «NZZ am Sonntag».
Andreas Von Gunten, président de l'association d'internautes «Digitale Allmend», s'indigne: «Les temps ont changé. Les gens n'ont plus le temps ou l'envie de s'asseoir devant leur télévision un soir fixe de la semaine pour voir leur série favorite ou d'attendre qu'elle sorte en DVD.» Pour lui, cette proposition est rétrograde et pas en phase avec la réalité.
De plus, l'idée d'«Agur12» reste vague. «Que signifie une 'source problématique'?», se demande Andreas Von Guten, qui souligne bien qu'une partie du contenu soit piraté sur les plateformes de type Torrent (échange de fichiers de personne à personne), on y trouve des milliers de choses tout à fait légales.
Pas de portail de streaming en Suisse
Le spécialiste d'internet poursuit en expliquant que la forte consommation de contenu piraté en Suisse s'explique par l'absence d'une réelle offre de streaming payant (vidéo qui se regarde directement sur un site, sans être téléchargée). «Au lieu de simplement se plaindre d'être flouée, l'industrie audio-visuelle devrait fournir des alternatives», poursuit Andreas Von Gunten. Dans de nombreux pays, des portails de ce type, où le contenu s'achète pour un somme modique, existent et cartonnent.
Franz Grüter, directeur du fournisseur d'accès Green.ch, serait aussi favorable à une plateforme de streaming made in Switzerland. «Ce serait une bonne chose. D'une part parce que les gens paieraient et d'autre part parce que les gens seraient obligés de s'inscrire, donc de fournir leurs données personnelles.» Pour lui, faire reposer la responsabilité sur les fournisseurs d'accès n'est pas la bonne approche.
Non-respect des libertés personnelles
Un autre aspect échauffe les esprits. L'obligation de prévenir un internaute qui s'apprête à télécharger du contenu «illégal» sous-entend que les fournisseurs doivent surveiller leurs clients. «C'est une intrusion dans la vie privée», selon Andreas Von Gunten. Franz Grüter va même plus loin: les fournisseurs d'accès deviendraient un instrument de l'Etat. Ce sont des pratiques dignes d'une dictature. Nous ne voulons pas devenir la police d'internet.»
Sara Stalder, de la fédération alémanique des consommateurs, pense que «les règles actuelles sont suffisantes pour traquer les contrevenants». Si elle ne voit rien à redire sur les avertissements obligatoires, elle souhaite surtout que les internautes soient mieux informés: «La plupart ne sait pas s'ils se rendent sur des sites légaux ou pas.» Quant à la fermeture sur sol suisse des sites problématiques, elle n'en voit pas l'utilité: «L'approche helvétique libérale du droit d'auteur ne doit pas être revue.»
Ce que la loi dit
En Suisse, le droit d'auteur autorise le téléchargement de musique, de films, de livres ou de jeux vidéos pour son usage personnel, même sur des sites illégaux. Ce qui est punissable, c'est de télécharger du matériel sous copyright et de le publier sur son propre site ou de le proposer sur un site d'échange de contenu (Torrent).
Les sites très connus en Suisse alémanique comme serienjunkies.org ou movie-blog.org sont déjà dans le viseur des autorités et visés par la proposition d'«Agur12». Leurs pendants francophones ne sont bien entendu pas épargnés.
Les USA ont fait pression
«Agur12» a été mis en place après que les Etats-Unis ont fait part de leur préoccupation face à la problématique du droit d'auteur en Suisse. Selon la «NZZ am Sonntag», ils suivraient de près les avancées du groupe de travail.