Les employés du nucléaire appelés à la trahison

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ArgovieLes employés du nucléaire appelés à la trahison

Greenpeace veut la vérité sur la centrale de Beznau. La justice étant trop lente, l'ONG recherche des lanceurs d'alerte.

David Maccabez
par
David Maccabez
Greenpeace a déjà manifesté à plusieurs reprises pour la fermeture des installations.

Greenpeace a déjà manifesté à plusieurs reprises pour la fermeture des installations.

photo: Keystone/urs Flueeler

Dans une annonce d'une pleine page dans la presse alémanique, les défenseurs de l'environnement ont lancé une appel inédit. Greenpeace appelle les personnes informées, notamment les collaborateurs d'Axpo, à transmettre des documents non-accessibles au public à propos de l'état du réacteur de la centrale nucléaire de Beznau I. Ce dernier est actuellement stoppé, après que des «mini-trous» dans la cuve ont été remarqués.

En toile de fond, une bataille juridique afin d'obtenir un rapport de 1000 pages, rédigé en 2012, sur l'état des installations. S'appuyant sur la loi sur la transparence et soutenu par le préposé fédéral à la protection des données, Greenpeace en a demandé une copie, mais n'a obtenu que 50 pages caviardées.

L'affaire a été portée devant le Tribunal administratif fédéral, mais l'ONG craint que le réacteur ne redémarre avant qu'il ne se prononce. «Le public doit connaître la vérité avant, afin de pouvoir réagir si besoin» argumente son porte-parole Mathias Schlegel. Quitte à passer par des moyens qui flirtent avec la légalité. «Nous ferons tout pour que les informateurs restent anonymes. Mais nous ne pouvons pas garantir qu'il ne leur arrivera rien. A défaut, ils auront droit à notre soutien le cas échéant», poursuit-il. Les données seront analysées par des spécialistes et peut-être publiées: «Nous nous assurerons toutefois qu'aucune information mettant en danger la sécurité de Beznau ne soit divulguée.» Le but ultime de Greenpeace est l'arrêt définitif de la centrale mise en service en 1969. Ses 47 ans font d'elle la plus ancienne encore en activité au monde.

«Une plaisanterie»

Contacté, l'exploitant de la centrale, Axpo, considère cet appel comme «une plaisanterie», écrit sa porte-parole Monika Müller. «Nous avons confiance en nos employés, ils savent ce qu'ils doivent faire», poursuit-elle. L'entreprise n'a toutefois pas souhaiter dire ce qu'il arriverait, si l'un d'eux brisait le sceau de la confidentialité. Concernant les reproches d'opacité, le fournisseur d'électricité invoque le secret des affaires et précise que toutes les données nécessaires sont disponibles sur le site de l'Inspection fédérale de la sécurité nucléaire.

Le physicien et ex-conseiller national vert Christian van Singer (VD) soutient l'initiative de Greenpeace: «Si un danger existe, il est légitime et souhaitable que les informations sortent, même si le procédé n'est pas légal», souligne-t-il. Selon lui, on devrait féliciter les gens qui ont le courage de divulguer des données confidentielles et non les punir.

Jugés et virés

Pour rappel, les lanceurs d'alerte ou whistleblowers sont parfois pénalement punissables en Suisse. Dernier exemple en date, le banquier Rudolf Elmer, condamné en appel à 14 mois de prison avec sursis le 23 août dernier.

Ils risquent aussi d'être licenciés. En principe, ils sont toutefois protégés contre les renvois abusifs par la jurisprudence, qui précise qu'une entreprise doit prévoir des directives internes en matière de whistleblowing. Si elles n'existent pas, l'employé de bonne foi qui dénonce des actes illicites est protégé, par le biais des dispositions sanctionnant les licenciements abusifs.

Le Conseil fédéral voulait, en 2013, mettre en place une marche à suivre précise, interdisant l'information directe au public et préconisant d'abord de s'adresser à sa hiérarchie ou dans certains cas aux autorités. Celui qui suivait ces règles et qui se faisait virer aurait pu faire reconnaître son licenciement comme abusif et prétendre à des indemnités. Le Parlement lui a retourné son projet en 2015.

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