ImmigrationUne famille afghane gagne contre la Suisse
La Suisse voulait renvoyer vers l'Italie un couple afghan et ses six enfants, mais la Cour européenne lui a donné tort.
La Cour européenne a mis son veto mardi à l'expulsion sans conditions d'une famille de requérants d'asile afghans de Suisse en Italie, en application des accords de Dublin. Elle contraint la Confédération à obtenir préalablement des garanties concernant le sort des six enfants.
L'Entraide protestante suisse (EPER), qui défend la famille, s'est réjouie de cette décision «favorable aux personnes vulnérables». L'Office fédéral de la justice a lui indiqué que le verdict marque un «tournant». Par le passé, rappelle-t-il, la Cour avait rejeté des requêtes similaires
Selon la décision de la Grande Chambre de la Cour européenne, il y aurait violation de l'interdiction de traitements inhumains ou dégradants si les autorités suisses renvoyaient cette famille de huit personnes en Italie sans avoir au préalable obtenu certaines assurances.
Celles-ci concernent la préservation de l'unité familiale et une prise en charge adaptée à l'âge des six enfants, dont le cadet est né en 2012. Partie de Turquie, cette famille afghane était arrivée par bateau sur les côtes de Calabre en juillet 2011.
Les parents et les enfants avaient été placés dans une structure d'accueil et soumis à une procédure d'identification. Ils avaient ensuite quitté le centre de demandeurs d'asile de Bari puis étaient arrivés en novembre 2011 en Suisse où ils avaient déposé une demande d'asile.
Insalubrité et violence
Dans son arrêt, la Grande Chambre de la Cour européenne rappelle que la situation actuelle du système d'accueil en Italie comporte certains risques. «L'hypothèse qu'un nombre significatif de demandeurs d'asile renvoyés vers ce pays soient privés d'hébergement ou hébergés dans des structures surpeuplées, dans des conditions insalubres et un environnement de violence n'est pas dénuée de fondement», affirme la haute instance.
Sans entrer dans le débat sur l'exactitude du nombre de demandeurs d'asile privés d'hébergement en Italie, la Cour constate la disproportion flagrante entre le nombre de demandes d'asile présentées en 2013, qui dépasse 14'000, et le nombre de places disponibles dans les structures du réseau d'accueil, au total 9630 places.
Traitements inhumains ou dégradants
Par conséquent, si les autorités renvoyaient cette famille sans avoir obtenu au préalable une garantie concernant une prise en charge adaptée à l'âge des enfants, il y aurait violation de l'article 3 de la Convention européenne, qui interdit les traitements inhumains ou dégradants.
Obtenant partiellement gain de cause, la famille de requérants afghans se voit allouer une indemnité de 7000 euros, qui devra lui être versée par la Confédération, selon le verdict de la Grande Chambre, approuvé par quatorze juges.
Après ce verdict, l'Office fédéral des migrations devra demander aux autorités italiennes les garanties exigées avant de procéder au renvoi de cette famille. Selon le Règlement Dublin, les parents et leurs six enfants, dont le plus petit à deux ans, auraient en principe dû être renvoyés en Italie, puisque ce pays est leur premier pays d'accueil européen.
Satisfaction de l'EPER
Dans un communiqué diffusé après le prononcé de la décision, l'EPER dit se réjouir que la Cour soit entrée en matière sur cette affaire et l'ait déclarée recevable. «Cela met en lumière l'importance, au regard des droits humains, de la situation défaillante d'accueil qui prévaut en Italie et la mise en oeuvre non individualisée des accords de Dublin par les autorités suisses.»
L'Organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR) salue également le jugement de Strasbourg. Au vu des éléments retenus par les juges, elle appelle à l'arrêt immédiat des renvois des familles vers l'Italie jusqu'à ce que les conditions d'accueil soient améliorées. L'OSAR critique également la durée excessive de la procédure qui a pris trois ans.
Minoritaires, trois juges de la Cour européenne s'étaient opposés à ce verdict. Selon eux, il n'y aurait pas violation de la Convention européenne si cette famille était renvoyée en Italie, sans que la Suisse obtienne préalablement des garanties.
Ils relevaient notamment que le HCR n'a demandé à aucun Etat «Dublin» de renoncer aux renvois vers l'Italie alors qu'il avait fait cette recommandation expresse concernant la Grèce.
(ats)