«C'est plus dur de recaser les coureurs suisses»

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Cyclisme«C'est plus dur de recaser les coureurs suisses»

Patron de la future ex-formation helvétique IAM Cycling, Michel Thétaz fait le point, avant de tirer la prise.

par
Oliver Dufour
Genève
Léquipe basée sur les bords du Léman et son manager-fondateur vivront leur dernière course dimanche.

Léquipe basée sur les bords du Léman et son manager-fondateur vivront leur dernière course dimanche.

photo: Keystone/Jean-christophe Bott

Dimanche, la classique Paris-Tours sera la dernière course de l'équipe suisse IAM. Entretien avec son fondateur et manager genevois.

Michel Thétaz, comment se passent les dernières semaines de vie de votre formation?

C'est la fin de l'histoire telle qu'elle a été conçue par IAM Cycling, ainsi qu'elle a été annoncée depuis le mois de mai. Le processus depuis lors concerne la reconversion du staff et des coureurs, ainsi que le redimensionnement de l'équipe. Parce que IAM Cycling SA existera encore dans le futur avec d'autres activités, notamment pour les jeunes coureurs. Mais les activités World Tour vont bel et bien cesser. Le replacement des coureurs est en bonne voie, comme nous avions pris les devants, puisqu'environ deux tiers d'entre eux ont retrouvé un emploi. Les proportions sont similaires pour le staff, mais c'est un peu différent, parce que ça bouge toujours beaucoup au sein des équipes et que ces employés sont plus habitués aux changements fréquents. C'est moins difficile à gérer que pour les coureurs, en particulier les équipiers.

Seuls deux de vos Suisses, Mathias Frank (AG2R) et Reto Hollenstein (Katusha), ont à ce jour retrouvé une place...

Oui, effectivement. J'ai toujours dit que je souhaitais compter 9 à 10 coureurs suisses sur les 30 de mon équipe. Mais seuls ceux-là ont pour l'instant pu se recaser. Il y a de très bons équipiers dans le lot. Mais si on regarde les équipes françaises ou belges, elles ont déjà légions de très bons équipiers dans leur pays. Pour des raisons pratiques et organisationnelles, elles préfèrent nettement puiser dans leur propre vivier. Les Suisses sont les plus durs à recaser. Pour tout le reste, la qualité suisse s'arrache. Pour les bus, le matériel, etc, on a tout de suite eu des demandes d'équipes existantes ou en formation pour les racheter.

On vient d'apprendre à la fois l'union entre l'équipe BMC et l'horloger TAG Heuer, ainsi que le retrait du Team Roth Gruppe du circuit Pro-Continental. Ca vous fait quoi?

Dans le premier cas, il faut s'en réjouir pour le cyclisme suisse. On aura quelque chose qui sera assez suisse pur sucre. Et si ça n'a pas fonctionné avec IAM, mais plutôt d'une manière différente, notre mérite aura peut-être été d'attirer l'attention sur la visibilité et la crédibilité d'une telle aventure. Ca a donné des idées à d'autres et maintenant ça se fait. Deux entreprises de technologie suisse qui s'associent, c'est bien. C'est ce qui me réjouit le plus, peu importe que ça soit avec d'autres.

En ce qui concerne Roth, je pense que c'était dès le départ plus difficile. En termes de budget et de structures, l'opération aurait de toute façon été plus compliquée. Ils ont eu la chance de participer au Tour de Romandie et au Tour de Suisse, mais ils étaient dans le gruppetto à chaque fois. Pour les coureurs ce n'est pas bon.

Deux équipes helvétiques disparaissent quand même aujourd'hui...

Mais avec BMC-Tag Heuer, il y en a une qui renaît! Je pense que c'est une chance pour les coureurs du pays. Chez IAM, certains ont montré de grandes qualités. Il faut souhaiter qu'il en ira de même avec BMC-Tag Heuer. Et peut-être que la nouvelle équipe créera un engouement et permettra la naissance d'une deuxième équipe d'un niveau un peu inférieur. C'est en tout cas ce que j'espère.

Pour l'instant on risque quand même de se retrouver avec un Jonathan Fumeaux, champion de Suisse en titre, qui se retrouve à ne pas pouvoir porter son maillot cette saison, faute de contrat. C'est un peu particulier, non?

C'est fou, oui, mais c'est hélas tout à fait imaginable. Et en plus certains coureurs ne peuvent pas retourner à l'échelon inférieur pour un salaire qui représente un tiers de ce qu'ils gagnaient sur le World Tour. Ce n'est pas envisageable, surtout s'ils ont des familles.

Qu'a-t-il manqué dans le paysage suisse pour qu'IAM Cycling perdure?

Il manque encore la perception que le cyclisme est acceptable, désormais. Un chef d'entreprise qui n'est pas un adepte de ce sport associe encore cyclisme et dopage. Il faut du temps pour que les mentalités changent, mais ça viendra. Même si on n'éradiquera jamais la tricherie. Dans aucun sport, d'ailleurs.

Alors que le vélo a fait d'immenses progrès. Tenez, sur le Tour de Lombardie, le week-end dernier, un de nos coureurs a subi deux contrôles sanguins! Le même jour. Ca n'arrive nulle part ailleurs. C'est inacceptable et on s'en plaint. Sans compter les efforts que font les équipes elles-mêmes. En plus, si certaines entreprises sont déjà impliquées dans d'autres sports, elles y restent. Donc il faut arriver au bon moment avec la bonne proposition auprès de la bonne personne. Ca fait beaucoup de choses à aligner. Les chefs d'entreprise ne veulent en plus pas prendre de risque. Ils font comme ils ont toujours fait et ne veulent rien changer. Mais je suis persuadé qu'à un moment les mentalités vont évoluer. C'est juste que ça prend du temps.

Votre succès a-t-il été un peu trop rapide, aussi?

Tout est allé très vite, c'est vrai. Mais c'était ma volonté incontournable. On voulait être rapides pour progresser, le tout avec sérieux et efficacité. Et le problème, c'est qu'après il faut continuer, sinon on devient moyen. Et ça, ce n'est pas bon dans la vie. Vous vous fondez dans la masse, sans être bon ni mauvais, vous n'êtes rien. Donc il nous fallait augmenter notre budget de 13 à 20 millions. Parce que les augmentations ne vont pas s'arrêter. Il y en a déjà qui sont à 35 millions. Je prédis qu'il y aura bientôt à 50! Avec 20 ou 22 millions, nous aurions fait partie des meilleures équipes du monde. En compensant avec notre efficacité en termes de résultats et de tenue d'équipe, nous n'aurions pas eu besoin d'avoir le plus gros budget.

Pour vos affaires, on imagine que les retombées ont été bonnes au cours des quatre dernières années...

Au départ, je me réjouissais qu'il n'y ait personne d'autre dans le cyclisme suisse. On a ainsi capté l'attention de tous les médias. On était anticycliques, non consensuels. Mais les gens ne sont pas comme ça par nature. Ils font du suivisme. Pour nous l'intérêt a été extraordinaire en quatre ans. Quand vous êtes seul et que votre nom se résume à trois lettres, c'est pas mal! Maintenant la marque IAM est connue. La visibilité est indéniable. Il y a quatre ans, si j'allais visiter une institution à Zurich, il me fallait déjà une heure et demie de temps pour leur expliquer qui nous étions avant d'éventuellement les convaincre. Maintenant on existe et il n'y a plus à dire qui vous êtes.

Ex-propriétaire d'équipe World Tour, le milliardaire Russe Oleg Tinkov imagine pour sa part une révolution du business model du cyclisme, avec une ligue professionnelle à la sauce nord-américaine et des chaînes de télévision payantes. Qu'est-ce que ça vous inspire?

Il y a effectivement des velléités d'échafauder un système comme celui-là, avec une ligue fermée, tout un calendrier approprié, des coureurs stars et des visibilités différentes. Ca amènerait des revenus considérables, aux coureurs en premier lieu. Qui dit argent dit intérêt possible, parce que c'est bien ça le nerf de la guerre. Mais ça me paraît très compliqué à mettre en place. Simple dans le descriptif, l'ébauche, mais très compliqué en réalité. Le cyclisme ne fonctionne pas comme ça, mais sur un mode exigeant avec 80 à 100 jours de course, avec tout un historique, des fédérations et des championnats nationaux. Certes, il y a des choses à remanier, mais je vois mal le cyclisme que les gens aiment actuellement, dont le calendrier va désormais de l'Australie à l'Amérique, avec des classiques et des grands tours, devenir du vedettariat pur, où on paie très cher pour voir des stars. Je pense que ces idées vont faire long feu et son un peu un pavé dans la mare, pour justifier le retrait de Tinkoff, je ne sais pas...

Vous-même, comment abordez-vous la fin de votre aventure?

Avec beaucoup de nostalgie, évidemment. Mais je suis de nature optimiste et je préfère me réjouir de tout le plaisir qu'on a eu au cours des quatre dernières années, plutôt que de gémir sur ce que je n'ai pas pu faire, ou ce que j'aurais pu ou dû faire. On a vécu des moments extraordinaires qu'on aurait aimé vivre de façon indéfinie, mais c'est la vie du sport, celle des sponsors. Le regret est de n'avoir pas pu monter encore l'équipe d'un échelon pour faire partie des meilleures au niveau mondial. Mais le résultat de cette aventure humaine, avec tout ce qu'elle a apporté, est beaucoup plus important que les petits regrets. Chaque fois que j'y pense, c'est une source de joie.

Même si on manque de recul, que retirez-vous de ces quatre années sportives?

Tout d'abord une formidable expérience humaine. Côtoyer le plus haut niveau du sport cycliste, par ces coureurs qui se sont investi à 100% dans leur métier pour atteindre les performances les plus hautes, avec tout le staff qui les entoure. C'était fabuleux à vivre avec eux. J'en retire aussi la satisfaction d'avoir réussi ce défi en transposant nos valeurs de niche d'un domaine dans un autre. Ca a fonctionné à merveille.

Peut-il y avoir une implication future de votre part dans d'autres projets sportifs?

Il y en aura, même si ça ne sera plus à la même échelle. Mais il ne faut jamais dire jamais non plus. Par exemple, on construit actuellement un hôtel à Champex-Lac, avec un service basé sur le bien-être. Pourquoi ne pas imaginer qu'un petit groupe de cyclistes vienne rouler pendant une semaine avec notre ancien coureur Martin Elmiger? L'idée serait d'offrir tout un service autour du cyclisme. Et il y aura certainement d'autres idées du genre.

Twitter, @Oliver_Dufour

«Si vous sortez des radars, c'est terminé»

Jonathan Fumeaux Champion de Suisse sur route

Jonathan Fumeaux Champion de Suisse sur route

«Ça n'a pas été une année facile, malgré mon titre national. Après le retrait de notre équipe IAM Cycling, voilà maintenant celui du Team Roth, en Pro-Continental. Il y a un cumul de circonstances qui font qu'il n'y a pas beaucoup de places sur le marché pour les coureurs. N'oublions pas qu'avec la disparition de Tinkoff, ça fait deux formations World Tour qui arrêtent d'un coup. Derrière, il y aura en principe le Bahrain Cycling Team et l'équipe Bora (ndlr: avec Peter Sagan), mais ce sont des équipes déjà en partie formées. Il faut donc attendre de voir si des places se libèrent. J'ai des contacts avec des équipes. Si je suis confiant? Ça dépend des jours (rires)! Je peux envisager de redescendre en Pro-Continental. On est quand même parfois invités sur les grandes courses. Mais arrêter une année, c'est impossible. Si vous quittez le champ des radars, au niveau professionnel, c'est terminé, on ne vous voit plus.»

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