Festival de CannesBasil da Cunha, un Suisse sur la Croisette
«Après la nuit», premier long métrage du suisse Basil da Cunha, est sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs. Rencontre avec un cinéaste qui fonctionne à la passion.
Le Festival de Cannes, le Suisse d'origine portugaise connaît. Ses deux précédents courts métrages ont été projetés à la Quinzaine des réalisateurs en 2011 et en 2012. Cette année, c'est au tour de son premier long métrage, «Après la nuit», d'y être sélectionné. Le film témoigne de la persévérance du jeune réalisateur à creuser les thèmes qui lui tiennent à coeur: une histoire de marginaux tournée, dans un esprit de troupe et avec des acteurs amateurs, dans un quartier de Lisbonne, et en créole.
«Après la nuit» est ton premier long métrage après plusieurs courts. Est-ce que tu as rencontrer des problèmes à passer à ce format-là?
Non. En fait j'en ai découvert plein, mais comme à chaque étape j'en résous, ce n'était pas un problème. Avec «Après la nuit» j'ai posé un truc très important pour moi, une manière de mettre en scène ce qui me plaît le plus, les scènes de groupe. Je trouve que j'arrive à avoir une certaine exigence à la fois dans le contenu et dans la forme. Ça c'était très important. Après, il y a beaucoup de choses que j'ai encore envie de travailler. A commencer par le scénario.
L'écriture a été difficile?
Non, le scénario était bien, mais on ne l'a pas pris au tournage! Chaque soir après le tournage, on reconstruisait les scènes pour le lendemain en fonction de ce qui se passait. Mais c'était une belle aventure. On a travaillé de la même manière dans le long que dans les courts, en prenant juste plus de temps. L'exigence est surtout plus haute parce que c'est le "film d'après".
De quoi es-tu le plus fier sur ce film?
De la manière dont on avance ensemble. C'est quand même une aventure, partir là-bas (au Portugal), écrire une histoire en une semaine, tourner trois mois quasiment sans argent, on s'achète une caisse de whisky et des hamburgers, on part comme des Pieds Nickelés et tout à coup on est à Cannes pour un film où on a juste fonctionné au plaisir! C'est une expérience de liberté absolue. On a travaillé avec de nouvelles personnes, des talents bruts et d'autres qui ont plus de peine, et c'est possible seulement parce qu'on avance ensemble. Et puis je suis fier de mes images, du son. On a réussi ce qu'on voulait faire, filmer la nuit, une image sensuelle...
Va-tu continuer à faire le même genre de films à l'avenir?
On ne peut pas reprocher à un vrai joueur de rugby de ne pas jouer au foot. Je ne décide pas des thématiques de mes films. Je travaille avec ma famille, mes amis. Il y a des thématiques qui reviendront toujours parce qu'elles sont liées à notre identité. Je ne fais pas de plan de carrière. Il y a juste du désir. Ceci dit, les histoires de mes films ne sont pas les mêmes. Un de mes courts était très fantaisiste, un autre plus classique. Avec «Après la nuit», on est dans un film de genre, de gangsters. Le prochain sera un road movie...
Comment réagis-tu à ceux qui te font remarquer que tu fais encore une fois un film en créole-portugais...
Les gens qui m'ont dit ça, c'étaient toujours des fins stratèges ambitieux qui pensent en terme de carrière. Ces gens-là, excuse-moi de te le dire comme ça, je les emmerde. C'est comme ces petites meufs qui rêvent d'être célèbres alors qu'elles n'ont pas de voix et rien à dire. Quand tu seras un artisan, on pourra parler. Mais tant que t'es un carriériste, un chef d'entreprise... Je dis ça parce que moi je travaille avec le coeur, avec l'amour. Je suis un petit artisan qui ne gagne pas d'argent, qui réunit des gens parce qu'on a la foi, justement, dans les gens.
Et puis la langue, c'est une manière de penser la vie, c'est de la poésie. On ne peut pas être dans un monde où on résiste à la mondialisation et dire ensuite qu'un film en créole, c'est trop compliqué.
Tu te considères comme un artisan...
Il y a des réalisateurs qui donnent du sens à ce qu'ils font après l'avoir fait, d'autres qui font des démonstrations de force. Nous on fait des choses avec nos petites mains, on tourne dans l'ordre chronologique, on intègre les propositions des gens, on est pas au-dessus d'eux même si je les manipule. Parce que le boulot d'un metteur en scène c'est quand même de manipuler.
Le jour où tu auras plus d'argent à disposition, dans quoi l'investiras-tu?
Dans le temps et les acteurs. Le salaire des gens. Sur «Après la nuit» j'avais le temps qu'il fallait en termes de tournage, mais il n'y avait pas de pauses pour réécrire.
Tu as encore le temps d'aller au cinéma?
Pas tellement. Surtout je ne vois pas grand-chose de bien. J'attends plutôt les festivals.
Tu vas à Cannes pour ça ?
Non, j'y vais pour le boulot, pour présenter mon film, mon bébé, et pour préparer le suivant. Mais j'espère avoir le temps de voir les films des autres. J'ai vu la présentation des films de la Quinzaine, ils ont l'air tellement bien. Je vais essayer d'aller tous les mater parce que tous m'intéressent. Jodorowsky. Harvey Keitel en ouverture. Il y a plusieurs polars, un film de science-fiction sur Mars...
Mais je passe beaucoup de temps sans voir de bons films, parce que dans les salles il n'y a plus rien, et je télécharge rien. Je suis limité. Là, ce que je vois, franchement, c'est de la fabrique de l'oubli.
«Après la nuit (Até ver a luz)»
De Basil da Cunha. Avec Pedro Ferreira, Joao Veiga...
L'histoire de Sombra qui, à sa sortie de prison, replonge dans le bidonville créole de Lisbonne où il doit louvoyer entre un dealer qui doute de lui, des dettes qu'il n'arrive pas à se faire rembourser, un iguane en manque de soleil...
Projection à Cannes le 22 mai
Sortie dans les salles de Suisse romande le 29 mai

Dès demain, et tout au long du Festival, Basil da Cunha partage avec les lecteurs de «20 minutes» son regard sur la manifestation et ses convictions. A retrouver dans nos pages et sur notre site.