GenèveCommander au resto en n’utilisant que ses mains
Tenu par des sourds, un établissement spécialement équipé va ouvrir l’an prochain. Chacun pourra y manger tout en s’initiant à la langue des signes.

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Getty ImagesComment demander au serveur, sans rien dire, un poulet grillé et son gratin dauphinois? Avec les mains, en utilisant la langue des signes. Tel est le pari imaginé par la Société des sourds de Genève (SSGenève). Elle a célébré mercredi soir la fin de son opération de crowdfunding (plus de 97% du budget de 300’000 francs est désormais financé) qui permettra d’ici mars prochain l’ouverture des portes du Vroom. Un nom étrange – il symbolise le bruit, s’amusent les futurs gérants – pour un restaurant étonnant, dans le quartier de Plainpalais.
En cuisine et en salle, des employés atteints de surdité seront aux manettes. «Nous voulons montrer que nous pouvons travailler comme tout le monde, alors que le chômage nous touche trois fois plus que les entendants», lâche Mehari Afewerki, président de la SSGenève. En plus de prôner la diversité, Vroom entend promouvoir l’intégration des sourds, leur offrir un lieu où se retrouver, tout en permettant aux autres clients d’entrer dans leur monde du silence, «pour déconstruire les stéréotypes autour de la surdité».
Buzzer en lumière pour passer commande
Le restaurant, qui offrira 54 places et 40 supplémentaires en terrasse, ne proposera en effet pas que des produits locaux, mais aussi une initiation à la langue des signes «pour dire bonjour, demander une boisson ou la facture», liste Mehari Afewerki. La commande passera notamment par une application dédiée, sur une tablette: «Une vidéo montrera au client comment traduire par la gestuelle le plat désiré. Il pourra ainsi le reproduire face au serveur. C’est une forme de partage et de découverte, que l’on veut drôle et ludique.» S’il ne se sent pas à l’aise, le visiteur n’aura qu’à cliquer sur le mets choisi.
Il faudra également adapter le mobilier et les installations au handicap des collaborateurs. La cuisine ouverte sur la salle permettra aux serveurs et à leurs collègues aux fourneaux de communiquer visuellement. Un dispositif vibrant, dans la poche, et un système lumineux préviendront lorsque les assiettes seront prêtes. De la lumière, il y en aura aussi sur les tables, précisément au centre, sur un buzzer. «Ainsi, le personnel en salle saura que les clients sont prêts à commander ou ont besoin de quelque chose, énonce David Davinroy, directeur de la société Good Morning Agency, qui accompagne le développement du restaurant. Et puis, pour les convives, ce sera pratique: plus besoin de toujours se retourner pour héler un serveur.» Enfin, toutes les tables seront rondes, notamment pour le bien-être de la clientèle atteinte de surdité ou malentendante. «Ces personnes ont besoin de se regarder pour échanger. Et franchement, pour tout le monde, c’est plus agréable qu’assis côte à côte», sourit Mehari Afewerki.
Le président de la SSGenève espère éviter les visites d’un soir par simple curiosité, et fidéliser la clientèle: «Si le restaurant sera un lieu d’intégration et de formation (ndlr: l’engagement d’apprentis, sourds ou entendants, est prévu), nous rêvons surtout d’une adresse conviviale où l’on aimera à se retrouver.»
Des essais finalement transformés
Si l’idée a déjà été concrétisée en France, notamment, le Vroom sera le premier restaurant en Suisse dont le personnel est sourd. Dans notre pays, le concept a déjà été expérimenté mais seulement durant quelques heures, dans divers établissements et même au Palais fédéral à Berne. La Fédération suisse des sourds et des associations continuent aujourd’hui d’organiser ces Cafés des Signes. Dans le même esprit de sensibilisation, des soirées restaurant dans le noir ont aussi essaimé, pour aborder le temps d’un repas la réalité des personnes aveugles.