Embauche frontalière: «Là, on se fout de ma gueule!»

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GenèveEmbauche frontalière: «Là, on se fout de ma gueule!»

Le conseiller d'Etat Mauro Poggia réagit vivement au recrutement, par la Fondation Clairbois, de deux frontaliers à la place de candidats genevois.

Jérôme Faas
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Jérôme Faas
Mauro Poggia, conseiller d'Etat genevois MCG en charge du département de l'emploi, des affaires sociales et de la santé.

Mauro Poggia, conseiller d'Etat genevois MCG en charge du département de l'emploi, des affaires sociales et de la santé.

photo: Keystone/Salvatore di Nolfi

La Fondation Clairbois, spécialisée dans la prise en charge de patients polyhandicapés, a embauché deux frontaliers, dont l'un pour lequel la délivrance d'un nouveau permis G a été nécessaire. Or, l'Office cantonal de l'emploi lui avait proposé des candidats genevois qualifiés pour les deux postes, responsable de restaurant et coordinateur du secteur alimentaire, a révélé la RTS. Le conseiller d'Etat Mauro Poggia réclame le licenciement d'un des deux frontaliers et exige que sa directive sur la préférence cantonale soit respectée.

Les faits relatés par la RTS sont-ils exacts?

Absolument. Ce qui a été dit est juste. Les deux personnes engagées viennent de France, dont une seulement possédait un permis frontalier. Et les candidats non retenus envoyés par l'Office cantonal de l'emploi possédaient plus de compétences qu'elles.

Pourquoi ce cas est-il, selon vous, caricatural?

D'une part, l'une des personnes engagées a dû se faire délivrer un nouveau permis frontalier. Elle prend donc bien la place d'un chômeur genevois. D'autre part, on nous dit toujours: mais non, les candidats, chez nous, n'ont pas les compétences. Ici, ils les ont. On se rend compte qu'il existe un réseau frontalier, une volonté de favoriser les gens de sa sphère. C'est tellement gros…

Vous réclamez le licenciement, durant sa période d'essai, de la personne au bénéfice d'un nouveau permis G. N'est-il pas injuste de la sanctionner, alors qu'elle n'a pas fauté?

Je ne suis pas insensible à la situation de cette personne, mais je suis encore moins insensible à celle de la personne genevoise en situation précaire qui se retrouve à l'aide sociale.

Si Clairbois procédait, selon votre souhait, à ce licenciement, tiendrait-il la route juridiquement, vu l'absence de faute?

Si un tel congé était jugé abusif, peut-être qu'une indemnité serait réclamée aux prud'hommes.

Avez-vous le pouvoir d'exiger un licenciement, alors que Clairbois est une fondation privée?

Non, d'autant plus que la directive sur la préférence cantonale à compétences égales ne prévoit pas de sanctions. Mais Clairbois reçoit une subvention de plus de 19 millions. Si elle considère qu'elle peut violer les charges qui lui sont imposées par l'Etat, je considère qu'elle ne peut pas le faire avec l'argent du contribuable. Je déduirais donc les salaires versés de la subvention.

Le vice-président du Conseil de fondation déclare que les frontaliers engagés étaient plus compétents que les candidats genevois. Que lui répondez-vous?

Clairement, c'est faux, il n'y a pas photo. S'ils veulent un arbitre indépendant, aucun problème. L'un des candidat genevois avait même tellement les compétences qu'il a été reçu deux fois avant d'être écarté.

Il estime aussi que la soumission de Clairbois à la directive sur la préférence cantonale n'est pas claire.

Venir me dire après coup qu'ils n'y sont pas soumis est trop facile. En novembre 2014, toutes les entités subventionnées ont reçu cette directive, assortie de la décision de les y soumettre. Aucune n'a émis d'objection.

Le fait que les deux frontaliers embauchés proviennent du même village (ndlr : Beaumont, 2400 habitants, en Haute-Savoie) que le directeur adjoint responsable du recrutement est décrit comme une «coïncidence extraordinaire».

C'est un village, et ils ne se connaissent pas… Soit. Je ne peux pas prouver qu'ils se connaissent, mais c'est quand même assez surprenant. Là, on se fout de ma gueule.

S'agit-il du premier cas de ce type depuis l'introduction de la directive sur la préférence cantonale, fin 2014?

Ce n'est pas le premier mais c'est peu fréquent. Il y a eu quatre ou cinq cas qui ont mérité des investigations. C'était parfois limite, mais pas aussi flagrant. Des avertissements ont été donnés.

C'est la première fois que vous demandez un licenciement?

Oui. Si l'Etat ne montre pas sa détermination, alors autant ne pas édicter de directive.

Est-ce l'Office cantonal de l'emploi qui vous a mis la puce à l'oreille, ou une dénonciation?

L'office a fait toute l'enquête, et procède à de nombreux contrôles. Dans ce cas précis, j'avais porté un œil attentif sur le processus de sélection, car l'un des candidats était une personne désespérée de ne pas trouver d'emploi malgré ses compétences qui était venue me voir. Je lui avais demandé de me tenir au courant du résultat de ses démarches.

"Coïncidence extraordinaire"

"Monsieur Poggia est un peu monté sur ses grands chevaux." Vice-président du Conseil de fondation de Clairbois, André Magnenat juge que la structure n'a pas commis d'erreur. D'une part, il juge qu'il n'est "pas franchement clair" que la directive sur la préférence cantonale s'applique aux entités subventionnées. D'autre part, "dans ce cas précis, les seuls bons dossiers étaient ceux des frontaliers". Que les candidats retenus habitent dans le même village que le directeur adjoint du foyer de Pinchat est une "coïncidence extraordinaire. Ils ne se connaissaient même pas". Quant à la volonté du conseiller d'Etat qu'il soit procédé au licenciement du nouveau permis G, il ne sait pas si elle sera suivie d'effets. "Aucune décision n'a été prise à ce stade."

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