Guatemala et FranceEn quête de ses racines, elle tombe sur un trafic d’enfants
Carmen Maria Vega a été adoptée à l’âge de neuf mois. Partie à la recherche de ses racines guatémaltèques, la Française de 36 ans a découvert une triste vérité.
Carmen Maria Vega a été adoptée en France à l’âge de neuf mois. Adulte, elle est partie au Guatemala à la recherche de ses racines et de sa mère biologique, pour découvrir une sinistre vérité: elle était en réalité une enfant volée.
Aujourd’hui âgée de 36 ans, Carmen Maria, qui est aussi chanteuse, a raconté son histoire dans un livre, «Le chant du bouc» (Flammarion), fait un album, et projette désormais un film.

En 2010, la chanteuse a reçu le Prix Barbara, lors d'une cérémonie de remise de prix au ministère de la Culture à Paris.
ReutersSes parents, un couple de Lyon (est), ne lui ont jamais caché qu’elle avait été adoptée. «De toutes façons c’était assez évident, parce qu’ils sont très blancs», sourit la jeune femme au teint mat et aux yeux noirs.
«Savoir pour se construire»
Elle a une enfance heureuse, dans une famille aimante, mais commence à l’adolescence à se poser des questions sur ses origines, et ressent le besoin «viscéral» de «savoir pour se construire». «La seule chose que je savais était que ma mère biologique était une militante guatémaltèque qui avait dû m’abandonner pour me sauver la vie. C’est du moins ce que l’association avait dit à mes parents», raconte-t-elle à l’AFP.
Carmen commence à vivre avec ce «fantasme un peu fou de cette mère qui s’était battue contre la dictature» militaire guatémaltèque.
A 25 ans, la jeune femme part au Guatemala, avec en poche un papier sur lequel est écrit le nom de sa mère biologique, la date et le lieu de sa naissance, «11 juillet 1984. Colonia El Limon, zone 18, Guatemala City».
«Je m’étais posé mille questions, si j’étais née d’un viol, je m’étais préparée à un truc très dur, qu’elle était morte, qu’elle ne voulait pas me voir, qu’elle allait me demander de l’argent... je m’étais fait plein de scénarios un peu horribles mais le trafic d’enfants, pas du tout, ca ne m’est pas pas venu à l’esprit».
Longue guerre civile
Avant d’entreprendre le voyage, elle entre en contact avec Vincent Simon, un Français porte-parole de Rigoberta Menchú, la militante indigène guatémaltèque Prix Nobel de la Paix en 1992. «Il a été mon ange gardien», raconte Carmen Maria, qui ne parle pas espagnol et ne sait rien de son pays natal.
Ensemble, ils parcourent le Guatemala. Ce pays a vécu une des guerres civiles les plus longues (1960-1996) et les plus cruelles d’Amérique centrale, pendant laquelle des milliers d’enfants furent volés à leurs familles et adoptés à l’étranger, selon la Commission internationale contre l’impunité au Guatemala.
«Une baffe au visage»
Pendant le voyage, Carmen Maria comprend que «le trafic d’enfants était monnaie courante à cette période là. C’était comme une baffe au visage. On se dit que potentiellement c’est possible... et quand on comprend qu’effectivement c’est le cas...» C’est son grand père maternel, retrouvé dans la capitale Guatemala, qui lui révèle son histoire.
La mère de Carmen Maria n’était pas «une héroïne féministe qui combattait la dictature», mais «une mère célibataire dans le besoin à qui on a retourné le cerveau». Elle avait accepté de confier temporairement son bébé à des personnes étant en réalité des intermédiaires travaillant avec une association belge, Hacer Puente, qui a organisé l’adoption de Carmen Maria.
Une mère en Belgique
Jusqu’en 2008, les adoptions illégales (environ 5000 par an), ont généré quelque 250 millions de dollars annuels au Guatemala, selon des chiffres officiels.
La jeune femme découvre que sa mère biologique vit en Belgique. «J’avais fait 8000 kilomètres pour la chercher et elle était en Europe ? A deux pas de la France ? Je ne pouvais pas y croire». Pour ses parents adoptifs, la révélation que leur fille est issue d’un trafic d’enfants est un «cataclysme», dont ils ont mis du temps à se remettre.
Plainte déposée
La jeune femme est allée rencontrer sa mère biologique, Alba, mais entretient peu de contacts avec elle. «J’ai senti très vite que je n’avais pas les épaules pour lui rendre l’amour dont elle avait besoin».
Avec d’autres Guatémaltèques, eux aussi victimes de trafic d’enfants, elle a déposé une plainte en Belgique contre l’association Hacer Puente.
«Mon histoire est banale. Dans un pays en guerre, ou il y a des milliers de disparus. Je suis un petit maillon dans la chaine de tous ces enfants qui ont été volés et vendus. Et il faut bien comprendre que les parents adoptifs, tous, n’étaient pas au courant».