Genève«En voyant la lettre, j’ai cru à une arnaque»
Des entreprises ont découvert avec stupéfaction l’existence d’une redevance sur les photocopies.

Sur le principe, toute entreprise est soumise à la redevance sur le droit d’auteur de textes dès lors qu’elle a le matériel pour faire des copies.
Getty Images/EyeEmContactée par l’un de ses clients au sujet d’un «courrier suspect», Anna, gérante d’une fiduciaire, s’est tout de suite méfiée. «En voyant la lettre, j’ai cru que c’était une arnaque.» Tout comme elle, il y a une dizaine de jours, la fiduciaire où travaille Claudia et plusieurs de ses clients ont reçu un recommandé intriguant. «J’ai eu l’impression que c’était une demande frauduleuse plutôt qu’un document officiel.» Le courrier en cause: un questionnaire demandant des renseignements sur l’entreprise, notamment son secteur d’activité et le nombre d’employés. «Apparemment, c’est une société qui récolte la redevance pour le droit d’auteur. Mais je n’en avais jamais entendu parler», s’étonne l’un de leurs confrères.
Sur les six fiduciaires interrogées, la moitié a vu passer cette fameuse lettre. Toutes ont cru à une escroquerie. «J’ai trouvé bizarre que ce soit envoyé en recommandé, explique Claudia. Et puis, on ne comprend pas le fondement de cette société, ni sur quelle base légale elle s’appuie.»
«Ce n’est pas un fake»
Si, sur la forme, la demande a semblé atypique, sur le fond, elle est tout ce qu’il y a de plus légale et concerne effectivement une taxe liée au droit d’auteur protégeant les textes et les photos, dont les entreprises, les indépendants et les établissements scolaires doivent s’acquitter. «Ce n’est pas un fake», assure l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle (IPI), qui a conscience que «beaucoup de gens pensent le contraire».
Sur son site web l’IPI détaille: «Vous avez le droit de faire des photocopies à partir de livres, de brochures et de revues protégées par le droit d’auteur à des fins d’information et de documentation internes (ndlr: les copies numériques et les œuvres numériques sont aussi soumises à la redevance). La loi prévoit, en contrepartie, une rémunération pour les auteurs (…).»
C’est là qu’intervient ProLitteris, à l’origine des lettres envoyées à nos témoins. Au même titre que la Suisa pour les œuvres musicales, cette société de gestion est chargée d’encaisser l’argent de la redevance et de le redistribuer aux ayants-droit, dans son cas des écrivains, des éditeurs, des journalistes ou encore des photographes.
Une taxe méconnue
Pourtant, comme l’illustrent nos témoignages, beaucoup ignorent encore l’existence de cette taxe, née dans les années 90. «Malheureusement, nous n’avons pas les moyens de faire une campagne de communication dans tout le pays. La région de Genève est plus difficile à atteindre, car aussi plus internationale. Je peux donc tout à fait comprendre qu’une personne qui ne nous connait pas soit étonnée de recevoir notre courrier», admet Philip Kübler, directeur de ProLitteris. Nous faisons notre maximum pour essayer de recenser toutes les entreprises existantes en Suisse, mais nous sommes une petite équipe.»
Aussi, régulièrement, la société mène l’enquête et envoie des questionnaires aux entreprises qu’elle découvre afin d’établir si elles doivent payer des prestations et le montant de celles-ci. «C’est une procédure standard», rassure Philip Kübler, qui confirme qu’un certain nombre d’envois ont été effectués il y a quelques semaines, sans pour autant viser un canton ou des secteurs d’activité en particulier.
Qui est concerné?
«Deux de nos clients ont été contactés, mais je ne comprends pas pourquoi. Ils ne travaillent pas dans un domaine qui implique d’imprimer des photos ou des textes», s’interroge Claudia. «Il n’est pas nécessaire que les œuvres protégées par le droit d’auteur aient été effectivement copiées. Le fait de disposer de l’équipement technique suffit», précise le directeur.
Cela signifie que toutes les entreprises sont soumises au principe de redevance. Toutefois, dans certaines branches, en deçà d’un nombre d’employés, aucune taxe ne s’applique. «Ainsi, des entreprises du secteur de la construction avec moins de 15 employés ne sont pas assujetties à rémunération, l'examen du comportement des utilisateurs ayant révélé que le nombre de photocopies confectionné était négligeable. Une étude d'avocats, par contre, même si elle n'emploie qu'une seule personne, devra passer à la caisse», peut-on lire sur le site de l’IPI.

Ce tableau détermine à partir de combien d’employés la redevance de photocopie et réseau numérique s’applique. Actuellement, il existe plus de 40 catégories.
ProLitterisCoop et Migros paient des milliers de francs
Chaque année, ProLitteris récolte quelque 30 millions de francs, auprès d’environ 100’000 entreprises. L’argent est ensuite reversé aux 15’000 membres que compte la société de gestion.
«Pour les PME, le coût s’élève à quelques dizaines, voire centaines de francs, mais pour des groupes comme Coop ou Migros, la facture atteint plusieurs milliers de francs», confie Philip Kübler. Il précise que la redevance n’est pas rétroactive pour les entreprises nouvellement découvertes. «En revanche, la loi nous oblige à collecter cet argent. Par conséquent, si une personne refuse de payer, nous entamons systématiquement des démarches judiciaires. Cela arrive dans 1% des cas», conclut le responsable.
Simplification en cours
«A l’heure actuelle, cette redevance est quelque chose de légal et de compliqué. C’est pourquoi nous essayons de simplifier au maximum les informations pour ne pas faire peur aux gens. Nous venons de retravailler notre site web et nous avons entamé des négociations avec les associations d’utilisateurs, début 2021, se réjouit Philip Kübler. Les secteurs d’activité seront classés plus simplement, avec seulement trois catégories au lieu de 40 actuellement. Le tarif annuel par poste sera standardisé à un montant précis, par exemple, 5, 10, 15 ou 20 francs.»