GenèveL'ex-boss des SIG se défend: «Je n'ai privilégié personne»
Christian Brunier, qui a démissionné de ses fonctions de directeur général des Services industriels, prend la parole. Il réfute les accusations de népotisme et s'explique sur le volet de la surfacturation.

Christian Brunier compte désormais profiter de sa retraite.
map«Ça a été vachement violent.» Une petite phrase d'introduction qui en dit long sur l'état d'esprit de Christian Brunier. L'ex-directeur général (DG) des Services industriels de Genève (SIG) a démissionné avec effet immédiat le 30 avril. Une décision qui faisait suite aux accusations de népotisme mais aussi d'erreurs et de mensonges dans la gestion des coûts liés aux pertes du réseau électrique. Deux mois plus tard, ayant respecté la stratégie de communication des SIG, il prend la parole.
Votre démission peut être vue comme un aveu de culpabilité. C'est le cas?
Absolument pas. La direction générale est un travail gigantesque. Quand j'ai pris le poste à 50 ans, j'ai dit: je ferai dix ans maximum. Mais, quand Robert Cramer a été désigné président du Conseil d’administration des SIG, il m'a demandé de rester. J'ai accepté dans le but de faciliter la transition. Toutefois, en mars 2024, j'ai posé ma démission pour être sûr de pouvoir partir début 2025, après l'année de préavis. Quand cela s'est gâté, j'ai estimé que le fait de rester portait atteinte à l'image de l'entreprise, vu les attaques dont j'étais la cible. J'ai préféré partir.
Vous parlez de «cible». C'est comme ça que vous l'avez ressenti?
Je pense que je n'étais pas la cible principale. A travers moi, on a voulu attaquer la politique des SIG par rapport à l'urgence climatique (lire l'encadré). Ces dix dernières années, mon job a été de décarboner Genève. On a mis les moyens pour cela. Mais certains supportent mal cette politique. D'ailleurs, ils ont en partie réussi leur coup. Aujourd'hui, on ne parle quasi plus de tout ce que les SIG ont réalisé en la matière. La seconde cible, c'est le service public.
Mais, les cas d'embauche de personnes de votre entourage familial au sein des SIG n'ont pas été inventés par la presse. Que répondez-vous aux accusations de népotisme?
Je n'ai jamais privilégié personne. Prenons le cas de mon neveu. Il a été apprenti avant que je sois DG. Il a passé ses examens sans me le dire, justement pour ne pas passer pour un pistonné. Les deux fils de ma femme, dont l'un est faussement présenté comme un N-2 alors qu'il n'est pas cadre, ont tous les deux travaillé aux SIG comme intérimaires. De quel droit aurais-je pu leur interdire de postuler? Là encore je ne suis pas intervenu. Leur réseau interne et leurs qualités ont permis leur engagement.
Et votre ex-femme?
C'est sans doute le plus fort de café. C'était il y a 15 ans, je n'étais pas DG. Elle était intérimaire. On était en plein divorce et croyez-moi, je n'avais aucune envie de la voir dans le même service que moi. Je n'ai pas demandé à ce qu'elle travaille au SIG. C'est même tout l'inverse.
Restent les conditions d'embauche de votre belle-fille, révélées par «Le Temps». Un cas qui fait d'ailleurs l'objet d'une enquête administrative. Craignez-vous ses conclusions?
Je les attends avec impatience. À l'époque, elle était la nouvelle copine de mon beau-fils et non son épouse comme cela a été dit. Sortant de la HEAD, elle a postulé pour un stage d'un an. J'ai signalé à la personne chargée des embauches qu'elle avait un book hyper original. Je lui ai suggéré de jeter un œil et ai même ajouté que je ne voulais surtout pas de favoritisme. Entre-temps, j'ai appris que le sélectionneur avait décidé de boycotter les étudiants de la HEAD. Je me suis insurgé contre cette pratique discriminante envers une école genevoise. Je ne savais pas qu'elle était deuxième sur la liste après le stagiaire vaudois qu'il avait initialement choisi.
Tout de même, cinq personnes de votre entourage, il y a de quoi semer le doute non?
Je le conçois. Même si c'est plutôt quatre cas et sur 1700 employés. Cela étant dit, une nouvelle loi se prépare sur le sujet. J'ai hâte de voir ce que cela va donner. D'autant plus avec les familles recomposées. Où mettre les limites? On veut embaucher des locaux mais, en même temps, on leur fait le reproche de cette proximité. Au sein des SIG, il y a des gens avec qui j'ai fait mes études, du foot, de la politique, de la musique ou qui ont habité mon quartier... Ce sont les liens d’un Genevois, né à Genève, ayant fait ses écoles à Genève, vivant à Genève, s’étant engagé toute sa vie pour Genève et travaillant depuis 45 ans à SIG. À l’heure où l’on cherche à créer de la proximité entre le service public et la population, je ne suis pas sûr qu’un profil «hors sol», sans attache, serait le bon choix. Mais, ce n'est plus de mon ressort.
Quid de votre avenir?
Ça a été un passage difficile. Même si, je tiens à dire que j'ai eu énormément de soutien. J'ai reçu plus d'un millier de messages. Dans la rue, je pensais me faire lyncher, c'est tout l'inverse. Maintenant, je veux tourner la page et profiter pleinement de ma retraite.
Surfacturation: «Des erreurs mais pas de faute»
Autre affaire qui a ébranlé les SIG ces derniers mois celle de la surfacturation des clients liée aux pertes réseau. Celles-ci ont été surévaluées depuis 2009, atteignant 22 millions de francs en trop. Là encore, Christian Brunier persiste et signe: «Les pertes réseau, on les estime. Il y a des relevés d'index et des gens qui font leurs relevés eux-mêmes. C'est estimatif!» Il ajoute: «Certes, 22 millions ce n'est pas rien mais au regard des 6 milliards que représente l'enveloppe achats et production d'énergie sur 15 ans, c'est peu. Et à côté de cela, les 6 milliards ont été optimisés.»
Revendiquant «le droit à l'erreur», il souligne: «Il n'y a pas eu de faute. Personne ne s'est mis du fric dans la poche, personne n'a triché.» Enfin, il assure n'avoir pas «menti» lorsqu'il a dit qu'il ne savait pas que c'était illégal. «Le soi-disant lanceur d'alerte nous signalait un problème toutes les semaines. Dont ce problème de calcul. Nous avions mandaté un audit interne qui n'a pas vu d'illégalité.» Sans compter les contrôles du Canton et de la Confédération. «Je faisais confiance aux processus mis en place.»
«Je suis fier de mon bilan»
Après 10 ans à la tête des SIG, Christian Brunier regrette surtout les circonstances de son départ. «Personne n'a fait mon bilan. Alors que durant dix ans, mes budgets ont tous été validés». Rappelant que la dette des SIG s'élevait à plus d'un milliard à son arrivée, il souligne: «Avec Michel Balestra, alors président du Conseil d'administration, on l'a fait baisser à 450 millions».
L'ex-directeur général se dit fier de l'action climatique menée par les SIG. «Le plan de développement du renouvelable, un projet qui s'élève à 3 milliards (1,5 d’investissements SIG et 1,5 du privé), est assez exceptionnel et contribuera largement à la décarbonisation de Genève.»
Du point de vue social, Christian Brunier estime avoir mis en place un management «innovant et efficient», fondé notamment sur les horaires à la confiance. De quoi permettre aux SIG de remporter plusieurs prix en la matière.