GenèvePour le Parquet, le professeur est «un prédateur sexuel»
Au Tribunal correctionnel, le Ministère public a requis 6 ans ferme contre l’ex-enseignant qui s’était drogué et avait couché avec d’anciens élèves de 16 ans. Son avocate a plaidé l’acquittement.

Le Palais de justice de Genève.
TDG – L. FORTUNATI«Un prédateur sexuel intelligent et organisé.» Pour la procureure Lorena Henry, voilà ce qu’est cet ex-enseignant du Cycle d’orientation qui, en 2017, s’était drogué et avait couché à de multiples reprises avec deux anciens élèves de 16 ans (durant quelques semaines pour l’un, près de trois ans pour l’autre). Lundi au Tribunal correctionnel, la magistrate a écarté tout éventuel romantisme de ces relations à sens unique: «Les victimes n’étaient pas en mesure de s’opposer». Lorena Henry soutient que le prévenu s’est (notamment) rendu coupable d’actes d’ordre sexuel sur une personne incapable de discernement et de résistance. Jugeant sa faute d’une «extrême gravité», elle requiert une peine de 6 ans de prison et une interdiction à vie d’exercer une activité impliquant des contacts avec des mineurs.
Les plaignants n’avaient jamais touché à la drogue dure. Ils n’avaient aucune expérience sexuelle. Or, à son domicile, le maître aujourd’hui quadragénaire les a systématiquement encouragés à ingérer de multiples substances: cocaïne, MDMA, ecstasy, viagra, poppers, somnifères, alcool. Très jeunes, «les victimes étaient particulièrement vulnérables aux effets, insiste la procureure. L’alcool désinhibe, le viagra procure des érections, la MDMA augmente la libido». Le piège chimique est en place. Les garçons «perdaient non seulement la tête mais le contrôle de leur corps. Il leur devenait impossible de dire non».
«A seize ans, on est encore un enfant»
La magistrate estime aussi «incontestable» que le prévenu a exercé des pressions psychiques sur les plaignants, exploitant sa supériorité d’adulte et d’enseignant pour asservir «des enfants, car oui, quand on a seize ans, on est encore un enfant». Elle observe enfin que l’accusé tente de «rejeter la faute sur les victimes», affirmant avoir répondu à leurs demandes et à leur curiosité. «Il est doué pour réécrire l’histoire. Il se limite à s’excuser pour la manière dont les plaignants ont ressenti les faits», non pour les faits eux-mêmes.
«Ni un pédophile, ni un violeur»
Le prévenu, qui ce lundi matin a pleuré, conteste pour sa part toute contrainte, même s’il dit ne «pas être indifférent» à la souffrance qu’expriment les plaignants. Il plaide donc l’acquittement. «Il s’agit de recentrer les débats sur ce qu’a perçu mon client, qui n’est ni un pédophile, ni un violeur, plaide Me Laïla Batou. Il a perçu des demandes, des relances.»
La majorité sexuelle, un point central
L’avocate insiste sur l’âge des plaignants à l’époque des faits. «Ils ont 16 ans, sont majeurs sexuellement. L’adulte est parfaitement en droit de se demander s’ils veulent du sexe. Ce n’est pas un crime.» Elle souligne l'empressement des adolescents à parler de sexualité homosexuelle, les photos de leur sexe en érection envoyées au prévenu (qui leur avait donné du viagra), les prises de MDMA alors qu’ils avaient été avertis par l’adulte qu’elle exacerbait la libido. Dans ce contexte, «ils pouvaient s’attendre, même à 16 ans, à une ambiance hautement sexuelle».
Quant à la gradation des pratiques, loin de dévoiler un homme tissant patiemment sa toile, elle démontrerait au contraire l’attention portée au consentement de ses partenaires. «Il aurait pu aller directement plus loin.» Mais non, expose Me Batou, jugeant qu’il s’est assuré que l’autre suivait puis, petit à petit, a franchi les étapes. Décrivant les actes un à un, elle exclut pour chacun la contrainte - relevant par ailleurs que l’un des plaignants «était moteur» des échanges sexuels et que «la drogue était le moyen de vivre ses pulsions (ndlr: homosexuelles) réprimées socialement».
Le verdict sera prononcé vendredi après-midi.
«Il nous a analysés et a utilisé ça contre nous»
«Je réalise qu’il (ndlr: l’ex-enseignant) savait très bien ce qui se passait. Pendant longtemps, j’ai cru que c’était un accident, ou qu’il y avait eu une mauvaise compréhension de notre part. Vendredi, j’ai compris que c’était ce qu’il voulait, qu’il avait réussi à nous avoir. Il nous a compris, écoutés, analysés, et il a utilisé ça contre nous.» Lundi, le second plaignant a livré un triste témoignage, entre initiation progressive à la drogue et rapports sexuels sordides. Quant aux dires du prévenu qui affirme n’avoir su freiner des jeunes en demande, il les balaie: quand les adolescents réclamaient des prostituées, «il arrivait très bien à mettre des limites» et à dire non.