GenèveService terrorisé par un directeur: l'inaction de Rolex dénoncée
La marque de montres a été épinglée par l’inspection du travail après la dénonciation d'employés visant un dirigeant, licencié depuis.

Le département concerné, basé aux Acacias, compte une centaine d'employés.
lhu«Les gens avaient peur de lui. C'était une terreur dans l'entreprise!» Les témoignages de plusieurs ex-collaborateurs de Rolex font froid dans le dos. Leur dénominateur commun: l’ancien directeur d'un département comptant une centaine d'employés. Harcèlement, mobbing, propos sexistes… Lundi matin, quatre personnes ont décrit leur calvaire, dont certains remontent à 2018. «Il ne s'agit pas de cas isolés, mais d'une situation collective, qui a duré des années», précise Alejo Patiño, secrétaire syndical à Unia. Depuis trois ans, pas moins de 50 membres du même service ont contacté le syndicat.
«Il régnait en prince»
«Le département fonctionnait comme un système de castes. Tout en haut, il y avait le directeur, entouré de quatre soldats qui appliquent ses méthodes. C'était une pyramide et il régnait en prince», détaille Robert*. Après 30 ans de boîte, à l'annonce de sa retraite anticipée, celui-ci a été mis au placard et privé de travail. «Je suis parti avec beaucoup de colère et de déception», confie le retraité, la gorge nouée.
Pierre*, lui, a d'abord été noyé sous le travail. Malgré ses appels à l'aide, rien n'y a fait, le conduisant à un burn out. Après deux mois d'arrêt, à son retour, toutes ses responsabilités s'étaient envolées. Peu de temps après, il a été licencié sans motif, après plus de dix ans d'ancienneté. Nathalie*, elle, a subi le sexisme du responsable décrié durant plusieurs années. Lasse de la situation, elle a quitté l'entreprise en 2018, en livrant une page entière de propos dégradants. La réponse des ressources humaines: «Je crois qu'il y a une incompréhension de votre part!»
«Un chemin de croix»
Pour le syndicat Unia, la situation d'Eric* a été la goutte d'eau. Dans la boîte depuis 24 ans, cet employé a tenu bon malgré les attaques du chef, en poste depuis 2016. «Un jour le masque est tombé: il a tapé du poing sur la table et m'a hurlé dessus: Pourquoi tu restes ici? Pourquoi tu ne pars pas? Je ne veux plus te voir!»
Celui qui a eu deux graves accidents de la circulation à quelques mois d'intervalle, «en raison de son état de détresse avancée», décrit «un chemin de croix». En 2021, lorsque Eric atteint ses limites et alerte Unia, il transmet un dossier de dix pages à la marque horlogère dénonçant les agissements du responsable. On m'a répondu: «Vous avez vu le marché du travail? C'est assez dynamique en ce moment...»
L'Etat remet à l'ordre Rolex
«Malgré de nombreuses dénonciations et deux enquêtes interne et externe, rien n’a bougé. Le système de contrôle est défaillant. Le responsable a continué de faire des ravages», confie Alejo Patiño.
Face à l'inaction des ressources humaines, en mai 2023, une quinzaine de personnes ont déposé une dénonciation auprès de l'inspection cantonale du travail (OCIRT). Constatant des problèmes managériaux et un danger pour la santé des employés, celle-ci a exigé une mise en conformité, demandant notamment «un audit du service concerné, mais aussi du service de production, composé de 3500 collaborateurs. C’est du jamais-vu!», relève le syndicaliste.
Lanceur d'alerte licencié
Seule l’intervention de l'Etat a permis de mettre fin à cet enfer. «Il y a eu une tentative d'exfiltration du patron dans un autre département, mais avec l'OCIRT, il devenait impossible de continuer de le couvrir», relatent les dénonciateurs. Le dirigeant a finalement été congédié en décembre dernier. Mais un lanceur d’alerte a subi le même sort. En janvier, Eric a été licencié. «Un congé représailles, fustige le représentant d'Unia. Depuis, toutes les démarches ont été entreprises pour le réintégrer, mais la marque ne veut rien savoir.» Aussi, le syndicaliste prévoit de saisir le Tribunal des prud’hommes, d'ici fin juin.
«Pourquoi Rolex a protégé ce patron? Comment l'entreprise a-t-elle pu laisser la situation se dégrader à ce point?» Le secrétaire syndical ne se l'explique pas. Mais pour lui, «la situation est loin d'être réglée. La mise en conformité n'est pas terminée et il y a encore des gens qui subissent des conséquences pour avoir osé parler».
Rolex réagit
Contactée, la société assure avoir «immédiatement pris les mesures nécessaires, afin de mettre un terme à la situation, après avoir fait le constat de dysfonctionnements dans l’un de ses services. Celles-ci ont entraîné des ruptures de contrat à différents niveaux de la hiérarchie, y compris les plus élevés. Elles ont abouti à la réorganisation complète du service concerné.» La boîte travaille actuellement sur des démarches de prévention.
*Prénoms d'emprunt.