Guerre en UkraineDésertions massives au sein d’une brigade formée en France
La brigade ukrainienne «Anne de Kiev» fait l’objet d’une controverse depuis son retour le mois dernier de France, où ont été formés 2300 des 4500 soldats la composant.

Baptisée «Anne de Kiev», la 155ᵉ brigade des forces armées ukrainiennes, créée à l’automne 2024 sous l’impulsion d’Emmanuel Macron, est au centre des critiques en Ukraine.
AFPLes enquêteurs ukrainiens ont indiqué jeudi avoir lancé des investigations sur des cas d’abus de pouvoir et de désertions au sein de la brigade «Anne de Kiev», en partie formée et équipée par la France. «Le Bureau d’enquête de l’État étudie effectivement les faits présentés dans les médias dans le cadre de la procédure pénale engagée en vertu des articles» liés à l’abus de pouvoir et à la désertion, a affirmé Tatyana Sapian, la porte-parole de cette instance officielle.
«Chaos organisationnel complet»
Selon le journaliste ukrainien réputé Iouri Boutoussov, près de 1700 soldats de la brigade ont déserté, pour la plupart avant même que leur unité ne soit déployée sur le front, et 50 durant la formation en France. Il a accusé mardi dans un long message sur Facebook le commandement militaire ukrainien d’avoir failli à la formation initiale de la brigade, qui s’est déroulée dans un «chaos organisationnel complet» et d’avoir envoyé ses soldats dans d’autres unités pour y «colmater les trous» en termes d’effectifs.
Selon lui, ce qu’il restait de la brigade a été envoyé notamment à Pokrovsk, l’un des secteurs les plus chauds du front Est, tandis que son commandant a été démis de ses fonctions, ainsi que plusieurs de ses subalternes. Toujours selon ce journaliste ukrainien, la brigade n’a pas été équipée en drones ni en équipement de brouillage électronique, des outils devenus essentiels pour les unités militaires dans cette guerre.
Une «brigade zombie»
«A cause de cette attitude criminelle envers la vie des soldats, la 155e brigade a subi des pertes importantes dès les premiers jours», a-t-il accusé. «L’enquête est en cours. Il est trop tôt pour parler de résultats préliminaires», a expliqué, pour sa part, Mme Sapian. Les problèmes au sein de la brigade «Anne de Kiev» avaient déjà été dénoncés par la député ukrainienne Mariana Bezougla, connue pour ses critiques virulentes du haut commandement militaire, qui avait évoqué début décembre une «brigade zombie» formée à des fins de «publicité».
Le président français Emmanuel Macron avait rendu visite début octobre aux soldats de la 155e brigade ukrainienne lors de leur entraînement en France. La France a cédé à cette brigade 128 véhicules de transport de troupes VAB, 18 chars AMX-10, 18 canons automoteurs Caesar ainsi que des camions, des blindés d’évacuation sanitaire, des postes de tirs de missiles anti-aériens Mistral et antichars Milan.

Emmanuel Macron passe en revue les troupes françaises, alors qu'il rencontre pour la première fois les troupes ukrainiennes que la France a formées pour la lutte contre l'invasion russe, dans l'est de la France, le 9 octobre 2024.
AFPL’armée ukrainienne entre angoisse et indulgence
L'armée ukrainienne a perdu au moins 43'000 soldats tués au combat et sans doute des dizaines de milliers d’autres considérés pour l’heure comme portés disparus depuis le début de l’invasion russe. Elle peine à remplacer ces pertes face à des troupes russes qui ont l’avantage du nombre et gagnent du terrain au prix d’assauts très meurtriers.
Selon le parquet ukrainien, depuis 2022, au moins 90'000 affaires ont été ouvertes pour désertion ou absence sans autorisation, avec une forte hausse des cas en 2024. Confrontées à un manque de soldats, les autorités ukrainiennes ont fait preuve d’une certaine indulgence. Le Parlement a ainsi voté en août une loi exemptant de poursuites judiciaires ceux qui ont regagné leurs unités, à condition qu’ils n’aient pas été condamnés auparavant pour ce motif.
Formation et encadrement
Selon Siver, un commandant ukrainien, le nombre de soldats abandonnant leurs unités augmente car beaucoup des militaires les plus motivés sont déjà morts ou blessés. Plusieurs militaires ont cependant dit que des améliorations dans la formation et l’encadrement de l’armée pourraient permettre de réduire les désertions.
Un ex-déserteur explique que, grâce à l’attitude de ses supérieurs actuels, son aptitude au combat et sa condition physique se sont améliorés depuis sa première affection. Siver suggère un meilleur soutien psychologique pour préparer les troupes, mais il ne voit pas de solution miracle pour réduire les désertions, qui vont sans doute se multiplier à mesure que se prolongent les combats. Quoique si, dit-il, il y en a bien une: «On doit juste terminer la guerre.»