SOCIÉTÉ ET JUSTICELa définition du viol et de ses victimes fait débat
Avec le projet aux Chambres fédérales d’harmoniser les peines du Code pénal, certains demandent l’abandon de la notion de contrainte pour préférer celle du consentement.

La notion du consentement n’est actuellement pas retenue en droit pénal suisse.
iStockphoto«Tout acte sexuel de type pénétration doit être explicitement et clairement consenti, sans quoi ce sera considéré comme un viol.» Interviewée dans L’illustré, Léonore Porchet a ainsi expliqué ce vers quoi devait évoluer la norme pénale actuelle. Conseillère nationale vaudoise, la Verte dénonce avec d’autres personnalités «la culture du viol en Suisse».
«Formulation maladroite»
Bâtonnier de l’Ordre des avocats vaudois, Me Nicolas Gillard estime que le sens de la réforme résumée par la politicienne soulève des questions. «Et notamment ce qu’il faut comprendre par «consentement clair et explicite» et la manière dont il devrait être exprimé, souligne-t-il. Cette formule est maladroite, car elle peut laisser penser à une sorte de présomption de viol, alors que si la réforme est faite, la preuve de l’absence de consentement devra être faite et non l’inverse.» Léonore Porchet précise, elle, qu’il ne s’agit pas d’inverser le fardeau de la preuve: «Dans les neuf pays européens où le rapport sexuel non désiré est désormais considéré comme un viol, la présomption d’innocence n’y est pas remise en cause.»
«L’accusation devra toujours prouver l’infraction»
Avocate et chargée de cours à l’Uni de Lausanne, Miriam Mazou se dit favorable à un abandon de cette notion de contrainte pour celle de consentement. «Un tel changement aurait pour conséquence qu’un rapport sexuel non consenti serait considéré comme un viol, sans qu’il soit nécessaire que la victime ait été l’objet de violences physiques ou de pressions psychiques. C’est là un message important», estime-t-elle, avant de poursuivre: «La question qui revient est de savoir comment ce consentement serait donné et recueilli. Juridiquement, il pourrait l’être par actes concluants, sans devoir signer un contrat avant tout acte sexuel. Et l’accusation devra toujours prouver l’infraction. Je comprends ici que l’accord soit exprimé sans ambiguïté.»
La femme doit encore prouver son refus en Suisse
Le droit pénal suisse ne retient que la notion de contrainte physique ou psychologique pour définir un viol. Et seules les femmes peuvent en être victimes. Si elles ne peuvent prouver s’être débattues, l’accusation de viol risque de ne pas être retenue. Dans neuf pays européens, dont l’Allemagne, la Suède et la Grèce, le consentement explicite a été privilégié. Même sans menace ou violence, une personne est coupable si l’autre n’était pas d’accord avec le rapport sexuel. La Cour suprême suédoise a même prononcé en 2019 une condamnation en retenant la notion de «viol par négligence». L’accusé avait bien commis un viol, mais il n’a pas été prouvé qu’il s’en était rendu compte.
Interrogée dans L’illustré sur les 32 experts suisses du domaine pénal qui s’opposent à toute révision du droit pénal sexuel, la politicienne Léonore Porchet déclare qu’il s’agit «de la position d’avocats dont le rôle est de défendre les droits des agresseurs». Une affirmation litigieuse qui fait réagir tant le bâtonnier vaudois que Me Mazou.
Avocats choqués
«J’ignore qui sont les experts évoqués, mais Mme Porchet se trompe lorsqu’elle indique que le rôle des avocats est de défendre les agresseurs et que cela seul expliquerait les positions desdits experts, déplore Me Nicolas Gillard. Le rôle de l’avocat est de soutenir et défendre son client, de quelque côté de la barre qu’il ou elle se trouve; d’ailleurs dans toute affaire sexuelle, un avocat plaide pour la victime face au confrère de l’accusé.» Le bâtonnier vaudois estime par ailleurs qu’il est normal que des spécialistes en matière pénale s’interrogent sur l’impact d’une telle réforme pourrait avoir sur l’administration de la justice, quel que soit leur âge et leur genre. «Tenter de les disqualifier en les réduisant à des tenants du patriarcat me semble maladroit.»
Quant à Miriam Mazou, elle rétorque: «En tant qu’avocate, je suis choquée de lire que notre rôle serait de «défendre les droits des agresseurs». En procédure pénale, les avocats assistent des prévenus, qui seront condamnés ou acquittés, ou des parties plaignantes. Dire que les avocats défendraient des «agresseurs» me paraît incompatible avec la présomption d’innocence.»