VaudLa désobéissance civile sur le banc des accusés
Le procès en appel de 12 militants écologistes qui avaient mimé une partie de tennis en automne 2018 dans le hall d’une succursale de Credit Suisse s’est ouvert mardi matin à Renens (VD).
Une centaine de sympathisants et militants étaient présents ce mardi matin, peu avant 9h, devant le bâtiment à Renens (VD) qui abrite la salle d’audience où s’est tenu le procès en appel de 12 activistes du collectif Grève du climat. En novembre 2018, ils avaient occupé le hall d’entrée de Credit Suisse à Lausanne avant de refuser de quitter les lieux comme le leur sommait la police.
Dès le début de l’audience à huis-clos partiel (ndlr: absence du public mais présence des journalistes), leurs avocats ont réclamé la «présence de personnes de confiance» dans la salle ou sinon le report du procès.
Une avocate a même évoqué la «fragilité psychologique» des prévenus qui nécessiterait cela. Sauf qu’à ce procès en appel, le ministère public est cette fois présent, contrairement en première instance l’hiver dernier. C’est le procureur général Éric Cottier himself qui assure la contradiction. Il constate qu’au mépris des normes de sécurité sanitaire nécessaires dans une salle d’audience, la défense «tente de faire entrer par la fenêtre le public qui avait été refusé à la porte» par la Cour. Puis il demande au tribunal de rejeter ces requêtes.
De retour de la suspension d’audience pour statuer, le président de la Cour cantonale, Christophe Maillard, assisté de deux juges, refusent les requêtes de la défense.
Pas de public
Débute l’audience des prévenus présents. Le président demande à l’une d’eux, physicienne, quels sont les dangers imminents auxquels vous vous référez pour avoir agi comme vous l’avez fait en 2018. «Il s’agit d’un point de non-retour, explique-t-elle, passé cela on ne sera plus que des spectateurs, face à des millions de morts. On doit agir rapidement avant de franchir certains seuils qui, une fois dépassés, seront hors de contrôle.»
Ces dangers biens décrits par les scientifiques sont connus des politiques insiste-t-elle: «Les autorités devraient protéger mon futur et prendre des mesures adéquates nécessaires. Or, le gouvernement et le parlement ne le font pas. Nous attirons aussi l’attention du public ainsi que nos politiques ne nous protègent pas.»
Entre urgence climatique et agenda militant
Le procureur général demande pourquoi avoir occupé ce jour-là en novembre 2018 une succursale de Credit Suisse à Lausanne et pas un autre jour ou en 2020 si l’urgence et la gravité sont les mêmes actuellement. «Nous agissons selon une mesure proportionnée et selon les agendas de chacun de nos membres. De plus le fait de répéter une telle action ne serait pas utile à la cause. Nous avons déjà atteint notre objectif.»
Le Ministère public demande alors si cette militante appartient à une formation politique ou si elle s’est déjà présentée à une élection. Elle répond par la négative, mais rétorque notamment que l’urgence climatique ne devrait même pas être débattue car il s’agit d’un droit fondamental à faire respecter. Une autre prévenue explique qu’elle aurait pu agir contre une autre banque active dans le commerce des énergies fossiles. Elle explique avoir découvert le sentiment d’éco-anxiété face aux dangers dus au réchauffement climatique: «C’est un devoir moral d’agir et par besoin de nécessité face à l’urgence climatique, alors que le processus parlementaire prend au minimum 5 ans, quand tout va bien.»
De la légitimité de la désobéissance civile
Une juge demande alors si, malgré leur scepticisme face aux politiques, les directives prises rapidement pour faire face à la pandémie dès le printemps 2020 ont changé leur opinion. Non à leurs yeux car le Covid19 est un «danger imminent très clair et précis». Selon une autre prévenue, le but de leur action en novembre 2018 était d’attirer l’attention du public sur les activités de Credit Suisse par une action ludique. Envahir les locaux de Credit Suisse était-il le seul moyen possible pour cette dénonciation, demande le président? «Non, mais sur le moment oui.» Pourquoi avoir refusé d’obéir aux ordres de la police qui avait demandé sur place de quitter les lieux? «C’est tout le principe de la désobéissance civile face à quelque chose qui nous paraît injuste.»
Mais en quoi s’opposer à la police sert-il à dénoncer des actes du Credit Suisse? persiste à demander la Cour…Quant au procureur général, il fait rappeler que des médias avaient été avertis en amont par les militants et se trouvaient sur place dès le début de l’intrusion des militants. Et il fait constater que cette action à Lausanne était menée en parallèle à d’autres en Suisse dans des succursales bancaires.
Un autre activiste explique que cette résistance face à la police fait partie de leur message au public: face au danger de l’urgence climatique, des gens sont prêts à se mettre en danger judiciaire.
D’autres moyens d’attirer l’attention
Le procureur général fait remarquer à un prévenu qu’il rédige et diffuse en ligne des articles sur les thèmes qu’il dénonce, sous-entendu qu’il sait exercer d’autres moyens légaux pour agir. «Vous en avez eu connaissance et les avez lus à cause de mon procès et non pas l’inverse», rétorque le jeune militant écolo au magistrat; rires dans la salle.
Un étudiant en géo-science déclare que les faits sur le réchauffement climatique et le lien avec les émissions massives de C02 sont des faits avérés par tous qu’il constate au quotidien dans ses études. Et en novembre 2018, ils ont décidé d’agir ainsi à l’aune de leur connaissance acquise du rôle de la place financière suisse dans les activités polluantes, ainsi que dans les actions de la désobéissance civile.
Interrogé, le représentant de Credit Suisse, Christian Steinmann, déclare que les activités de la banque à Lausanne avait été perturbées le jour de cette intrusion, et que les demandes du personnel de s’en aller n’étaient pas respectées. De plus, il n’y a eu aucun contact par la suite avec ces militants.
Une des juges dit alors ne pas comprendre pourquoi Credit Suisse avait renoncé à faire appel contre l’acquittement en première instance du moment que le Ministère public le faisait. Le représentant de la banque ne souhaite pas s’en expliquer mais il précise que la plainte déposée n’est pas négociable: elle est maintenue. Le président de la Cour énonce alors le détail d’une publicité de Credit Suisse qui met en valeur le côté rebelle et agitateur de la jeunesse. «C’est un carton d’invitation?» ironise-t-il. «On peut être un agitateur tout en respectant autrui et le droit», rétorque Christian Steinmann.
Le réquisitoire et les plaidoiries se déroulent ce mardi après-midi.