Vaud«La procédure de divorce a trop traîné, mon bébé aura deux papas»
Une trentenaire a introduit une demande de divorce en 2017. En couple avec un autre homme, elle attend un bébé de celui-ci. Mais, à court terme, l’enfant ne pourra pas porter le nom du vrai père.

Une trentenaire en instance de divorce depuis 2017 va accoucher d’un bébé qui aura un père génétique ou biologique et un père juridique (le mari) en détention.
AFP«Pour des raisons de violences conjugales, en 2015, je me suis séparée du père de ma fille âgée aujourd’hui de 9 ans et demi. Et j’ai introduit une demande de divorce en mars 2017. La procédure traîne toujours.» Dans la voix de Fiona*, tristesse, lassitude et désespoir se mêlent. C’est que la trentenaire kosovare est avec un autre homme depuis mars 2019. Et elle attend un bébé dans deux semaines. «L’enfant ne pourra pas porter le nom de son vrai papa mais celui qui, sur le papier est toujours mon mari et avec qui je n’ai plus eu de contact physique depuis 2015. En tant que femme et mère, ma vie est complètement prise en otage», dénonce Fiona.
Mesure thérapeutique
Entre Fiona et Bojan*, kosovar qui se réclame serbe en détention car il fait l’objet d’une mesure thérapeutique institutionnelle, l’ambiance est explosive. «Il a menacé plusieurs fois de me tuer. J’ai peur. En cinq ans, j’ai déménagé à cinq reprises. Je ne veux pas qu’il me retrouve», ajoute-t-elle.
L’experte: «éviter tout contact entre le père et sa fille»
Si la procédure de divorce n’a toujours pas abouti, c’est surtout parce que le droit de visite de Bojan* sur sa fille de 9 ans et demi n’a pas pu être fixé. Une experte mandatée par la justice a retenu qu’il était dans l’intérêt de l’enfant et de Bojan de ne pas se voir. Elle a préconisé «une séparation thérapeutique» père-fille. Bojan a fait un recours. La justice a accédé à sa demande en ordonnant une seconde expertise. Seconde expertise dont Fiona ne voulait pas en raison des conditions délétères des auditions sur sa fille, comme l’a indiqué la première experte. Le dernier mot est revenu au Tribunal fédéral, qui a suivi la Cour cantonale vaudoise. A savoir qu’il faut «l'avis d'un second expert pour apprécier correctement le droit aux relations personnelles du père sur sa fille». Une décision qui, selon Fiona, va encore retarder le divorce. «C’est une histoire sans fin. J’aimerais tourner la page, avancer et avoir le droit à une vie normale, comme tout le monde. Mais ce qui devait appartenir au passé est toujours là, omniprésent. Je n’en peux plus de me sentir attachée à cet homme dont je ne veux plus», soupire-t-elle.
L’avocate de Bojan n ‘a pas souhaité s’exprimer.
Attaquer la présomption de paternité
Docteure en droit, travaillant sur les questions du droit de la filiation, Me Tiffaine Stegmüller rappelle que dans le cas de Bojan et Fiona, une action en désaveu de paternité est nécessaire. «Le père juridique (ndlr Bojan) ou l’enfant, représenté par son curateur ou sa curatrice, doivent attaquer devant le juge la présomption de paternité du mari», relève l’avocate. «Il y a une impossibilité évidente que le mari en prison puisse être le père. Donc, en principe, il n’y aura même pas besoin de test ADN. Ensuite, le père génétique pourra reconnaître l’enfant», a souligné l’experte.
Empêcher la répétition d’un drame familial
En détention pour des raisons thérapeutiques, le mari souffre. de «trouble de la personnalité paranoïaque». En novembre 2018, il avait joint le Service de protection de la jeunesse pour annoncer qu’il était armé et qu'il voulait tuer sa femme. «Je la tue sa mère avant Noël», avait-il aussi publié sur Facebook. Entendu par la procureure, il a déclaré que s'il n'était pas placé en détention, il tuerait sa femme. Aujourd’hui, il souhaite quitter le milieu carcéral. Mais le Tribunal cantonal vaudois a rappelé que lors d’un traitement ambulatoire ordonné en 2016, il s’était encore attaqué à son épouse. Dans un tel contexte, la Cour a souligné qu’elle n'entrevoyait «aucune mesure susceptible de remplacer la privation de liberté». Le mari a eu un parcours de vie dramatique. Ses parents ont quitté l’ex-Yougoslavie pour venir en Suisse avec leurs six enfants. Peu de temps après, un drame familial a eu lieu à Lausanne: le père a tué la mère de Bojan. Tous mineurs lors des faits, les six enfants ont été placés.
Les différentes étapes
Voici les dates clés de l’affaire. Fiona et Bojan se sont mariés en janvier 2011 au Kosovo. Ils ont eu une fille en octobre 2013. La séparation a eu lieu en 2015 et en mars 2017, l’épouse a demandé le divorce. En avril 2018, le cas de l’enfant a été confié au Service de protection de la jeunesse (SPJ). Un an après, une expertise pédopsychiatrique sur les modalités du droit aux relations père-enfant a été ordonnée. En mars 2020, une association a été contactée pour organiser des visites de l’enfant à son père en détention. La mesure est restée en suspens à cause du coronavirus. Le 20 février dernier, la demande de Fiona pour un jugement partiel sur le divorce a été rejeté par le Tribunal d’Yverdon. «Vu la complexité du dossier, il ne sera pas fait droit à votre requête tendant à ce qu'un jugement partiel soit rendu. Et au vu des agendas respectifs, il paraît peu probable qu'un jugement définitif et exécutoire puisse être rendu dans un délai qui permettrait de renoncer au dépôt d'une action en désaveu», a notifié la présidente du tribunal.
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