GenèveLe salaire minimum entrera en vigueur dès la fin d’octobre
L’initiative de la gauche pour un salaire horaire de 23 francs minimum a fait un tabac. La crise sanitaire a joué un rôle dans son acceptation, jugent les élus.

Les salariés du secteur de la restauration figurent parmi les gagnants de l’adoption du salaire minimum à 23 francs l’heure..
Getty Images«23 francs l’heure, c’est immédiatement applicable», a annoncé le président du Conseil d’Etat Antonio Hodgers. Le salaire minimum d’un peu plus de 4000 francs par mois voulu hier par une très nette majorité de 58,15% des Genevois entrera en vigueur «dès la promulgation de la loi, fin octobre». Et le patronat ne pourra pas invoquer les conventions collectives (CCT) existantes pour verser des salaires inférieurs. «La loi écrase la CCT», a confirmé l’édile.
Restauration et nettoyage
Le tabac réalisé par l’initiative des syndicats et des partis de gauche constitue «un signal extrêmement fort et une excellente nouvelle pour les salariés, a jugé Davide De Filippo, le président de la Communauté genevoise d’action syndicale (CGAS). La population ne croit plus aux mensonges du patronat. La prétendue potion magique du partenariat social ne fonctionne plus, car elle est unilatérale.» Selon lui, les travailleurs qui profiteront le plus de la loi œuvrent dans l’hôtellerie, la restauration, le nettoyage et le commerce de détail. Se basant sur les estimations de 2018, le conseiller d’État Mauro Poggia a indiqué que «6,3% de la population pouvait être touchée» par les hausses de salaire à venir.
L’élu n’a cependant pas caché sa crainte d’un appel d’air attirant des frontaliers qualifiés au détriment de locaux peu formés. Neuchâtel, qui connaît un salaire minimum de 20 francs l’heure depuis 2017, «n’a pas constaté d’effet pervers, a-t-il admis, mais ce canton n’a pas la même composition d’emplois que Genève».
«Il faudra consommer local»
D’une manière générale, cette révolution salariale effraie la droite, qui redoute que cette initiative «qui paraît généreuse», dixit Bertrand Reich, le président du PLR, fasse plus de mal que de bien. «Nous craignons que le salaire minimum devienne une référence» et tire les petites paies vers le bas, explique la présidente du PDC Delphine Bachmann. Elle s’interroge aussi quant à la capacité des PME, déjà malmenées par la crise économique due au Covid, à s’adapter à cette nouvelle donne. «Est-ce le bon moment?» Bertrand Reich avertit: «Le coût de la main-d’œuvre va augmenter, donc les prix aussi. Ce sera compliqué si les Genevois ne jouent pas le jeu. Il faudra qu’ils consomment local pour soutenir le commerce.» Le président du MCG Francisco Valentin, lui, craint une arrivée massive «d’euro-frontaliers» sur le marché du travail.
Autant de perspectives qui n’inquiètent pas la gauche, bien qu’elle soit consciente de la nécessité de soutenir le commerce local. «Oui, les Genevois devront jouer le jeu, c’est certain», estime la présidente des Verts Delphine Klopfenstein. «Il ne faudra pas jouer les baisses de prix à tout prix», abonde Jean Batou, député d’Ensemble à Gauche. Son homologue Jocelyne Haller énumère pour sa part plusieurs effets positifs attendus. «Le recours à l’aide sociale devrait baisser, et c’est très bien, car il n’est pas normal que l’Etat, via l’impôt, compense les bas salaires.» La députée prévoit par ailleurs une hausse du pouvoir d’achat à même d’amortir une éventuelle progression des prix. Et elle pense que ce salaire minimum permettra de lutter contre la sous-enchère salariale et endiguera l’embauche frontalière. «Les politiques de recrutement devraient changer.»
Un puissant «effet Covid»
Les raisons de ce «quasi-plébiscite», selon la vice-présidente socialiste Caroline Marti, font en revanche consensus: la crise du Covid a joué un rôle. «Elle a permis de voir des travailleurs qui se trouvaient jusqu’alors dans l’ombre», dit la députée. Jean Batou considère «qu’un véritable tournant de l’opinion publique s’est produit, une prise de conscience de la précarité dans ce canton.» Davide De Filippo renchérit. «La crise sanitaire a mis en lumière l’extrême précarité de milliers de salariés. Le salaire minimum constitue une reconnaissance de leur travail.» Delphine Klopfenstein partage cette analyse, tout en ajoutant que «le salaire minimum, clairement, s’adresse aux femmes, qui sont nombreuses à gagner moins de 4000 francs par mois. «La population tend à prendre de plus en plus en compte la question de l’égalité.» Bertrand Reich, pour sa part, considère que ce vote est la manifestation «d’un élan de solidarité et d’une plus grande attention portée aux autres». «Bien sûr que le Covid a eu une influence, analyse Delphine Bachmann. Il constitue une opportunité d’être dans le monde d’après et de renégocier le partenariat social. Il faut être dans l’après.»