
Le dilemme iranien: la splendeur du patrimoine et l’écrasement des droits humains.
Ali Karimiboroujeni/PexelsCultureL’Iran, un pays à visiter par procuration
Deux livres, l’un récent, l’autre moins, et une pièce de théâtre à Genève nous font voyager en Iran, destination fortement déconseillée aux touristes. On revient émerveillé de l’exploration de ces territoires culturels.
«L’autre jour en arrivant à la gare de Genève, un douanier m’a demandé si j’avais des biens à déclarer. Je lui ai répondu: un lingot d’or. En ouvrant mon sac, il est tombé sur un livre, «L’usage du monde». Les anecdotes de François-Henri Désérable régalent le public du Théâtre de Carouge (GE). Hier (jeudi 7 décembre) à la pause de midi, l’écrivain français, 36 ans, dialoguait sur scène avec l’acteur genevois Samuel Labarthe, 61 ans. Tous deux sont animés par leur passion pour «L’usage du monde» de Nicolas Bouvier (1929-1998), le récit d’un voyage entre juin 1953 et décembre 1954. L’écrivain voyageur genevois rapporte les souvenirs d’un périple à travers les Balkans, la Turquie, l’Iran et l’Afghanistan. En Fiat 500 Topolino! Il avait 24 ans.

La mosquée du Chah à Ispahan.
Sina Bahar/PexelsUne adaptation de ce texte est actuellement dite par Samuel Labarthe dans la petite salle du théâtre carougeois (jusqu’au 26 janvier 2024). La venue de François-Henri Désérable pour cette conférence, organisée avec la Société de Lecture, s’explique par la parution, en mai dernier, de son récit «L’usure d’un monde» dans lequel il narre sa récente traversée de l’Iran, sur les traces de Bouvier. L’aventure s’est soldée par son arrestation et son extradition. Au même moment, la rue se soulevait contre le régime des mollahs, à la suite de la mort en détention de Mahsa Amini.
Essor touristique stoppé net
L’Iran est, aujourd’hui, une destination fortement déconseillée, alors qu’entre 2014 et 2019, elle était à la mode pour les voyageurs européens qui visitaient Persépolis, Chiraz et Ispahan. Les vives tensions entre Washington et Téhéran, puis le retrait des États-Unis du programme nucléaire iranien en 2018 ont enrayé l’essor touristique. À partir de 2019, les manifestations et leur répression, ainsi que la mort de 176 personnes à bord d’un avion civil abattu par l’armée iranienne, en 2020, ont clos un chapitre, déjà assombri par l’écrasement des droits humains. Il ne vient plus désormais qu’un petit nombre de touristes, originaires de Russie, de Chine et de Turquie.

Détail des vestiges de Persépolis.
Masih Shahbazi/PexelsAujourd’hui, pour voyager en Iran, nous n’avons guère d’autre choix que d’écouter les mots des écrivains qui en sont revenus. «La lecture de «L’usage du monde» donne envie de faire son sac à dos et de partir», rappelle François-Henri Désérable en témoignant de son «perpétuel émerveillement». L’auteur français, dont le mot préféré est «horizon parce qu’il est inatteignable», revendique «la lenteur, le voyage à petite vitesse, le fait de prendre son temps», en particulier quand il évoque sa virée par le désert de Lout, dans la Toyota d’un Suisse alémanique.
Le pays découvert par Bouvier, dans les années 1950, n’est plus celui rencontré par Désérable, il y a quelques mois. «Je vois les réactions des jeunes qui assistent au spectacle, enchaîne Samuel Labarthe. Ils sont émerveillés par l’immensité du monde décrit par Bouvier et la façon très suisse dont lui, Ella Maillart et Annemarie Schwarzenbach abordent le voyage. C’est un regard fraternel.»
Écrivaine voyageuse au musée Rath
Une exposition consacrée à Ella Maillart (1903-1997) vient de commencer au musée Rath à Genève (pl. de Neuve 1). L’infatigable écrivaine voyageuse genevoise a sillonné le monde. Des documents (photos, articles) retracent un parcours exceptionnel. La création de l’expo a été confiée à deux artistes, Anne-Julie Raccoursier et Pauline Julier. À voir jusqu’au 21 avril 2024. Prix libre.