ConstructionMalgré la pénurie, le réemploi de matériaux ne se déploie pas
La Suisse n’est pas encore prête à réutiliser les ressources existantes, malgré des initiatives dans ce sens.
Crise énergétique, pénurie de ressources, inflation. Face à ces phénomènes qui minent le secteur de la construction, la question du réemploi de matériaux est plus que jamais d’actualité. «En matière d’approvisionnement, c’est une sécurité. Cela peut booster la demande, mais c’est toute une industrie, où le principal critère est la rentabilité, qu’il faut convaincre. C’est un vrai changement de paradigme», estime Corentin Fivet, professeur assistant à l’École polytechnique fédérale de Lausanne.
Une solution à moyen terme
Alors que cette pratique est sur toutes les lèvres depuis quelques années, surtout pour des questions écologiques (lire encadré), «ce n’est que maintenant, avec les problèmes d’importation et de délais d’attente, qu’il y a une réelle prise de conscience de la valeur du bâti», constate François Guisan, directeur d’Osmia, spécialiste dans l’immobilier durable. Pourtant, à la ressourcerie genevoise Matériuum, aucune hausse de la demande n’a été observée. Pour le Groupe Orllati, actif en Suisse romande, malgré les efforts entrepris, «la seule revalorisation des matériaux ne permet pas de parer à la pénurie de matière.»
Rien de surprenant selon la codirectrice de Matériuum, Maude Massard-Friat, car «le réemploi ne s’improvise pas. On ne peut pas l’intégrer à un projet en cours de route. Cela doit être planifié dès le début.» Et même si cela était possible, tous les spécialistes s’accordent à dire que la Suisse n’est pas prête à appliquer cette démarche à large échelle. Déconstruire, transporter, stocker, reconditionner: «Tout ce processus reste à créer», résume François Guisan.
Une pratique oubliée
«On a oublié cette façon de faire, qui pourtant était encore très utilisée il y a 100-150 ans», confirme Véronique Favre, architecte basée au bout du lac. Principale difficulté: l’absence d’espace de stockage. «Il y a peut-être quelque chose à faire avec les déchetteries», suggère l’experte. Outre l’inexistence de filières d’approvisionnement, les différents corps de métier ne sont pas formés, indique Maude Massard-Friat. «Les entreprises de démolition ne savent plus démolir proprement. Des cours sont en train de se mettre en place pour les architectes. En revanche, rien n’est fait dans les CFC de construction.» Selon elle, c’est avec la nouvelle génération, sensible à la pratique, que le changement va se faire.
«Construire est un acte polluant»
«Avec le réemploi, il y a un potentiel énorme de réduction d’émissions CO₂. On peut diviser l’empreinte carbone d’une construction jusqu’à quatre fois», souligne Corentin Fivet. C’est justement l’aspect écologique qui a poussé Véronique Favre et son cabinet d’architecte Faz à développer cette pratique. «L’acte de construire est très polluant. En tant qu’architectes, nous avons une responsabilité.» L’an dernier, la spécialiste a réalisé plusieurs projets pour la commune de Meyrin (GE). Elle a effectué deux dallages de 150 et 300m² avec des pièces récupérées sur des chantiers genevois, dans un périmètre de moins de 10 kilomètres.
Des lois pour inciter au réemploi
Un coup d’accélérateur va bientôt être donné à la pratique en Suisse. Fin octobre, à Berne, un projet de modification de la loi sur la protection de l’environnement a été déposé pour favoriser le réemploi. Après un retour du Conseil fédéral mi-février, la question devrait être discutée au Conseil national le printemps prochain. À Genève, l’été dernier, le Parlement a accepté une modification de la loi sur les constructions et les installations diverses. Celle-ci demande aux bâtisseurs de quantifier l’empreinte carbone d’un projet et prévoit de privilégier, «dans la mesure du possible, le réemploi des matériaux de construction existants». Un groupe de travail a été constitué en début d’année pour plancher sur les modalités de mise en œuvre du règlement. Celles-ci seront définies courant 2023.