Pays-BasLa publication d'une liste de «collabos» nazis fait polémique
La mise en ligne d’une liste de 425'000 noms de personnes ayant collaboré avec l’occupant nazi, divulguée par les Archives des Pays-Bas, bouleverse les Néerlandais.

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PixabayC’est avec stupéfaction que de nombreux Néerlandais ont appris récemment sur internet qu’un membre de leur famille avait collaboré avec l’occupant nazi durant la Seconde Guerre mondiale, à la suite de la mise en ligne d’une liste de 425'000 noms par les Archives des Pays-Bas. Depuis janvier, des descendants se rendent chaque jour en masse à La Haye, la boule au ventre, pour y consulter le dossier de l’enquête ayant visé leur grand-père ou grand-tante.
«Je pense que c’est une très bonne chose que tout cela soit rendu public», indique Stephanie Biesheuvel, 43 ans, qui a écrit un livre sur le lourd passé collaborationniste de sa famille. «Nous ne pouvons pas regarder notre histoire en nous contentant de quelques récits qui ont tous été racontés par la Résistance», estime-t-elle.
Consultables qu'en personne à La Haye
Avec l’expiration, fin 2024, d’une loi restreignant l’accès aux 30 millions de pages de dossiers, les Archives nationales et plusieurs organisations ont vu une occasion pour éduquer le plus grand nombre sur cette part sombre de l’histoire et ont décidé de rendre les documents accessibles à tous en ligne d’ici à 2027. Un moteur de recherche permet déjà d’accéder à la liste d’individus, aujourd’hui décédés, qui ont fait l’objet d’une enquête au lendemain de la libération des Pays-Bas en mai 1945, notamment pour trahison.
Les dossiers ne restent cependant consultables qu’en personne à La Haye, leur mise en ligne ayant été interdite jusqu’à nouvel ordre par l’Autorité néerlandaise de protection des données. «Tout le monde n’a pas été traduit devant un juge, condamné ou accusé à juste titre», précise le site du projet, ajoutant que, parmi les accusés, 66'000 ont été poursuivis en justice, la plupart d’entre eux emprisonnés par la suite.
Sans contexte
La publication des noms seuls, sans contexte ni explications, a suscité de vives émotions aux Pays-Bas. Certains Néerlandais s’inquiètent notamment de l’effet néfaste qu’une numérisation totale des archives pourrait avoir à l’ère des réseaux sociaux. «Il s’agit de données trop sensibles pour être rendues publiques, parce qu’il y a beaucoup de gens qui ne savent pas comment s’y prendre», explique Michael Schuling, président de l’association Werkgroep Herkenning, plateforme d’échange et d’information pour les descendants de collaborateurs.
Depuis 2020, cet informaticien de 52 ans mène des recherches approfondies sur son histoire familiale, avec pour point de départ une photo datant de 1940 de sa grand-mère, vêtue d’un trench-coat et d’un chapeau, souriant au côté d’un soldat allemand. «Je savais que mon père était l’enfant d’un soldat allemand. (...) Je n’avais jamais fait de recherches à ce sujet. Mon père ne voulait pas en entendre parler», raconte-t-il.
Accès restreint préconisé
Depuis, il a découvert que son père, Gunther, était né dans une clinique allemande du programme du Lebensborn, réseau de pouponnières aspirant à l’idéal raciste nazi. Après la guerre, sa grand-mère a été arrêtée et internée dans un camp pour avoir eu un enfant avec un Allemand. Gunther a été séparé d’elle et placé dans des structures d’accueil dont il est sorti traumatisé. «Les enfants ont été les victimes des choix de leurs parents», déplore Michael Schuling.
Ce dernier n’est pas opposé à la numérisation des archives, mais il est réticent au fait que les dossiers soient accessibles à tous, alors que certains descendants ignorent encore leur existence. Soucieux également de l’effet traumatisant sur les personnes âgées ayant connu la guerre, lui et son organisation préconisent un accès aux archives restreint par mot de passe.