Crise sanitaire en SuissePourra-t-on faire face à une surcharge de patients?
La deuxième vague de Covid-19 frappe de plein fouet le pays. Les spécialistes n’excluent pas à moyen terme la mise en œuvre du protocole de tri des personnes en cas de surcharge aux soins intensifs. Un médecin fribourgeois met en garde dans une vidéo devenue virale.

La deuxième vague de Covid-19 fait rage à l’Hôpital fribourgeois (HFR).
Keystone/Martial Trezzini«Nous nous trouvons à l’aube d’une catastrophe sanitaire», a averti lundi soir un médecin de l’Hôpital fribourgeois (HFR) par le biais d’une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux. Spécialiste en médecine interne générale, Nicolas Blondel évoque une «situation extrêmement grave» à laquelle fait actuellement face l’établissement. Mardi matin, le canton de Fribourg comptabilisait 180 personnes hospitalisées avec une infection au Covid-19, 40 étaient en attente du résultat de leur test, et 19 patients étaient admis aux soins intensifs, mais tous n’avaient pas forcément le virus.
Si à l’HFR la moyenne d’âge des personnes infectées tourne autour de 70 ans, le médecin constate la présence de beaucoup de patients plus jeunes, dont certains ont moins de 40 ans: «Ce sont des patients qui ne vont pas bien. Pour certains, on ne pourra pas les soigner comme on le voudrait», a prévenu Nicolas Blondel.
Nicolas Blondel, médecin de l’HFR, a lancé un cri d’alarme lundi soir dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux.
Nicolas BlondelLa limite est proche
«La limite aux soins intensifs pourrait être atteinte dans cinq jours, y compris pour les places supplémentaires créées. Il faut absolument que les nouvelles contaminations diminuent vite afin que l’impact se manifeste au niveau des soins intensifs, a aussi déclaré mardi Virginie Masserey, cheffe de la section contrôle de l’infection de l’OFSP. Pour cela, il faut compter une dizaine de jours.»
A l’échelle vaudoise, le directeur général du CHUV Phillippe Eckert prévoit que l’établissement en sera à «250 patients Covid, dont 55 patients aux soins intensifs dimanche prochain». La conseillère d’État Rebecca Ruiz, cheffe de la Santé, a développé: «Nous avons une petite marge de lits en soins intensifs, mais nous sommes convaincus que dans les jours à venir, ce ne sera plus le cas. Nous continuerons de faire appel aux cliniques privées pour prendre en charge des patients privés et semi-privés, et allons aussi appliquer la directive concernant le transfert des patients.»
«Qui doit vivre ou mourir»
Des malades fribourgeois ont déjà dû être transférés ces derniers jours par hélicoptère vers des établissements d’autres cantons, a révélé «La Liberté». Au mois de mars, l'HFR avait rapidement défini un plan d'escalation basé sur le nombre de patients admis aux soins intensifs. Ce plan comporte cinq phases, dont la dernière correspond au développement dit de la «médecine de guerre», en cas de surcharge de patients. Pour l’heure, l’HFR est débordé. On ignore si ce plan d’escalation a changé en cours de route. Mais en mars, le Dr Lennart Magnusson avait expliqué à «20 minutes» qu’à partir de 78 personnes admises en soins intensifs, «on entrera[it] dans une forme de médecine de guerre. Il faudra[it] trouver des solutions, comme installer des patients dans des salles de gymnastique. Il y aura[it] aussi des prises en charge de moindre qualité et, en dernier lieu, on en arrivera[it] à devoir décider de qui doit vivre ou mourir.»
Des chiffres publiés cet été indiquaient que, dans les hôpitaux suisses, les lits de soins intensifs ont été occupés au maximum à 98%. Ce taux ayant été atteint le 10 avril dernier. Les directives en cas de surcharge de patients n’ont donc encore jamais été appliquées. Mais, en début de semaine dernière, Franziska Egli, chargée de communication de l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM), disait pas ne pas exclure à moyen terme leur mise en œuvre.
Patients jeunes favorisés
Ce protocole de triage respecte deux critères essentiels. Le premier est l'équité, à savoir que les ressources doivent être mises à disposition sans discrimination d'aucune sorte, afin d'éviter toute décision arbitraire. L'objectif visé consiste à sauver un maximum de vies. Enfin, le pronostic à court terme est le facteur décisif pour le tri.
Les patients dont le pronostic de sortie de l’hôpital est favorable avec une thérapie de soins intensifs, mais défavorable sans soins intensifs, ont la priorité absolue. Par ailleurs, l’âge n’est pas en soi un critère, mais il est indirectement pris en compte dans le cadre du critère «pronostic à court terme», car les personnes âgées souffrent plus souvent de comorbidités, à savoir l’association de deux ou plusieurs maladies. «Les directives fournissent une assistance aux unités de soins intensifs afin que toute décision de triage puisse être prise selon les mêmes critères dans toute la Suisse, complète Franziska Egli, chargée de communication de l’ASSM. Ainsi, les patients atteints de Covid-19 et les autres patients nécessitant des soins intensifs sont traités selon les mêmes critères.»
L’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) et la Société suisse de médecine intensive travaillent sur une actualisation du protocole de tri des patients dans les unités de soins intensifs : «La mise à jour concerne en particulier les décisions de triage. Il s'agit de précisions qui se sont imposées sur la base de l'expérience acquise jusqu'à présent», explique Franziska Egli, chargée de communication de l’ASSM. Selon les dernières informations, la nouvelle version devrait être prête ces prochains jours.