Quand le mythe du Collège tourne au vinaigre

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GenèveQuand le rêve du Collège tourne au vinaigre

Malgré leurs difficultés scolaires, beaucoup d’élèves veulent à tout prix avoir la matu. Résultat: 30% des jeunes issus du Cycle obtiennent leur diplôme en mettant deux ans ou plus que la durée prévue.

VQH/ Jean-Paul Guinnard

Le parcours jusqu’à l’obtention d’un certificat de niveau secondaire II (ndlr: anciennement le post-obligatoire, soit des élèves entre 15 et 18 ans) n’est pas toujours un long fleuve tranquille. En 2019, trois jeunes sur dix ont obtenu leur diplôme après le Cycle d’orientation (CO) en prenant deux ans ou plus que la durée théorique. C’est le constat fait par un rapport du Service de recherche en éducation publié le 27 octobre.

«Pour certains, c’est lié à des redoublements. Mais pour beaucoup, se sont des réorientations», explique François Rastoldo, l’un des chercheurs à l’origine de l’étude. La conseillère d’État Anne Emery Torracinta, chargée de l’instruction publique (DIP), confirme l’existence d’une «cascade de réorientations. L’enjeu principal à Genève est de les réduire en dirigeant les jeunes mieux et plus vite vers une filière qui leur correspond. Le problème, et c’est vraiment quelque chose de très genevois, est que les élèves veulent à tout prix aller au Collège.» Or, les jeunes qui sortent du CO n’ont pas tous le niveau requis. «Résultat: ça ne se passe pas bien. Ils font un, deux, parfois même trois ans, et ensuite changent d’orientation», constate l’élue.

Répartition en % des élèves selon la durée de leur parcours jusqu’à l’obtention d’un diplôme de niveau secondaire II pour 2019, en fonction du titre obtenu.

Répartition en % des élèves selon la durée de leur parcours jusqu’à l’obtention d’un diplôme de niveau secondaire II pour 2019, en fonction du titre obtenu.

Service de la recherche en éducation (DIP)

Le mythe du Collège

«On se heurte à un phénomène de société. Beaucoup de familles poussent les jeunes à faire la maturité gymnasiale, alors que ce n’est pas toujours la filière qui convient le mieux à l’élève», confie la magistrate. Un phénomène également constaté par Waël Almoman, membre du bureau de l’Union du corps enseignant secondaire genevois (UNION). «Parfois, les élèves, eux, ont conscience de la situation, mais c’est la vision des familles qui se heurte à la réalité.» Un travail de promotion et de valorisation des apprentissages en emploi doit être fait, selon lui. «Certains parents voient la formation professionnelle comme un échec, alors qu’elle donne souvent lieu à de belles réussites, de belles carrières.»

Une problématique dont Anne Emery Torracinta est bien consciente. «Cela fait des années qu’on travaille dessus. On a, par exemple, beaucoup collaboré avec les milieux professionnels. On les laisse entrer dans les Cycles pour se présenter et aller à la rencontre des élèves. On a formé les enseignants. Nous faisons de plus en plus de portes ouvertes. Il y a également la Cité des métiers, tous les trois ans à Palexpo. Nous avons mis en place un certain nombre de mesures pour valoriser les apprentissages en emploi. Mais le mythe du Collège perdure. C’est difficile de changer les mentalités.»

«Go Apprentissage»: un succès encore fragile

«Avec 4,1%, Genève possède le taux de passage des élèves du CO directement à un apprentissage en emploi le plus bas de Suisse. «Go Apprentissage» vise à atteindre les 8%», explique Jean-Pierre Cattin, directeur du Service de l’orientation professionnelle à l’Office pour l’orientation, la formation professionnelle et continue. Le projet, lancé en 2016, a pour objectif de promouvoir le CFC dual, en implantant des conseillers au sein des Cycles d’orientation afin d’accompagner les jeunes vers la formation professionnelle. Quatre ans plus tard, onze CO, sur les dix-neuf du canton, sont dotés d’un conseiller «Go Apprentissage». «Dans les établissements où le dispositif est en place, la moyenne des passages directs à un apprentissage dual est de 5,9%. Dans les huit dépourvus de conseiller, elle atteint seulement 1,7%», relève le responsable. Selon lui, il faudrait que tous les établissements aient un accompagnateur pour garantir l’égalité des chances et pérenniser le projet. «La crise du Covid a frappé juste au moment où les jeunes cherchaient des places dans les entreprises. Les élèves des structures sans conseiller ont clairement été prétérités par l’absence d’encadrement.»

«Les entreprises ne s’investissent plus dans la formation»

Si les réorientations sont un facteur reconnu de l’allongement de la durée de formation, elles ne sont pas les seules en cause, estime Anne Emery Torracinta. «Il y a aussi un problème qui ne dépend pas de nous et qui continuera d’exister même si l’orientation est parfaite. A Genève, on a un marché du travail qui demande des compétences élevées. Il est extrêmement rare de tout de suite trouver un apprentissage à la sortie du Cycle.» Pour Waël Almoman, les entreprises ne remplissent plus leur rôle social comme autrefois. «A une époque, elles s’investissaient dans la formation des jeunes. Désormais, elles ont tendance à prendre des gens qui ont déjà un diplôme et à les former au métier de l’entreprise. On aurait espéré qu’en retour de l’allègement fiscal récemment voté par la population, les entreprises assurent davantage leur rôle social et s’investissent dans la formation des jeunes. Mais ce n’est malheureusement pas ce qu’on constate.»

Ce reproche, Nicolas Rufener, secrétaire général de la Fédération genevoise des métiers du bâtiment le regrette: «Les chiffres post-covid sont exceptionnels. Personne ne parle des efforts faits par les entreprises formatrices durant cette période. Malgré la crise sanitaire, elles ont offert autant, voire plus de places d’apprentissage que l’an dernier. Depuis que la formation continue est valorisée, les offres augmentent. C’est ça la réalité des chiffres.»

L’école obligatoire jusqu’à 18 ans en cause

«L’allongement des parcours est lié à un double phénomène. Il y a celui de la réorientation que l’on a évoqué, avec des familles et des élèves qui veulent absolument passer par la maturité gymnasiale. Et il y a aussi celui des élèves fragilisés, au parcours souvent chaotique, que l’on récupère depuis l’introduction du FAO18», précise la conseillère d’Etat Anne Emery Torracinta.

Cet allongement trouve donc son origine dans la mise en place du dispositif FAO18 qui vise à certifier 95% d’une volée en augmentant à 18 ans l’âge de l’école obligatoire. «La victoire de cette politique est que les jeunes en difficultés finissent par obtenir un diplôme. Le prix de cette politique est qu’ils le font avec un temps relativement long», résume François Rastoldo, chercheur au Service de recherche en éducation. Anne Emery Torracinta l’admet: «C’est impressionnant de constater que, pour un CFC de trois ans, la durée moyenne d’obtention est de sept ans.» Mais la magistrate accepte cette contrepartie, jugeant que le jeu en vaut la chandelle. «Je préfère qu’un jeune obtienne un titre après sept ans plutôt qu’il se retrouve des années durant à l’aide sociale.»

Graphique comparatif de la durée théorique et la durée moyenne effective jusqu’à l’obtention d’un diplôme de secondaire II, par certification pour les années 2014, 2017 et 2019

Graphique comparatif de la durée théorique et la durée moyenne effective jusqu’à l’obtention d’un diplôme de secondaire II, par certification pour les années 2014, 2017 et 2019

Service de la recherche en éducation (DIP)

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