«Je n’ai pas de voix dans ma tête»: le phénomène de l’anendophasie

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SantéCes personnes qui ne possèdent pas de petite voix intérieure

Les chercheurs viennent d'identifier le phénomène qui fait que de rares individus sont dépourvus de monologues dans leur tête pour organiser leurs pensées.

Le domaine du fonctionnement de la pensée est particulièrement difficile à étudier et encore méconnu.

Le domaine du fonctionnement de la pensée est particulièrement difficile à étudier et encore méconnu.

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Peut-on penser sans une petite voix intérieure dans la tête? C’est difficile à concevoir mais c’est ce que vivent quelques rares personnes: ce phénomène, l’«anendophasie», vient d’être identifié par des chercheurs et, plus largement, éclaire la façon dont nous articulons nos pensées.

«Je n’ai pas de voix dans ma tête»: Mel May, une trentenaire new-yorkaise, a un jour pris conscience qu’elle était une exception, après avoir lu un article qui évoquait notre voix intérieure. «Comment ça? Certains entendent une voix dans leur tête?», s’est demandé la jeune vidéaste, qui témoigne auprès de l’AFP. Elle s’est confrontée à l’incrédulité de ses proches avant d’obtenir confirmation auprès de plusieurs psychologues. Elle fait bien partie d’une poignée de personnes chez qui la pensée ne s’accompagne pas d’un monologue intérieur.

«Leur propre vidéo»

Le phénomène fait l’objet d’une petite littérature scientifique, mais c’est seulement l’an dernier que des chercheurs, dans la revue «Psychological Science», ont proposé de lui donner un nom: l’anendophasie. Etonnante et contre-intuitive, cette condition présente aussi l’intérêt de jeter la lumière sur un champ plus vaste de recherche: comment nous formulons nos pensées. Or, ce domaine est particulièrement difficile à étudier, car il est très difficile d’expliquer à un observateur externe la manière dont nous réfléchissons.

«Les gens ne se rendent pas compte des caractéristiques de leur expérience intérieure», souligne auprès de l’AFP le professeur en psychologie, Russell Hurlburt, de l’Université de Nevada. Russell Hurlburt a mené plusieurs études sur nos processus de pensée, s’intéressant entre autres au cas de Mel May. Dans l’une de ces études, les sujets lisaient «La Métamorphose» de Franz Kafka. Interrompus de façon brusque et aléatoire, ils devaient décrire ce qui se passait dans leur tête. Pour certains, les mots n’étaient pas lus tels quels dans leur tête, mais étaient remplacés par des images – «leur propre vidéo» du récit, selon les termes de Russell Hurlburt.

Certitudes remises en cause

Si le cas de Mel May constitue une exception par son absence totale de voix intérieure, ces recherches soulignent que ce monologue est, en général, bien moins présent dans nos esprits que l’impression qu’on en retire. Grosso modo, Russell Hurlburt estime que nos pensées n’obéissent à un monologue intérieur que 20 à 25% du temps, même s’il admet que d’autres recherches seraient nécessaires pour avérer ce chiffre. Et cette estimation correspond à de grandes variations d’une personne à l’autre, la voix intérieure étant très présente chez certains sujets. Parmi les autres processus à l’œuvre, figurent des images visuelles, une pensée «non symbolique», des émotions...

Ces conclusions ont d’ores et déjà remis en cause certaines certitudes. Ainsi, la chercheuse française Hélène Lœvenbruck, l’une des spécialistes du monologue intérieur, admet avoir changé d’avis à leur lecture. «Il y a encore peu de temps, je pensais que tout le monde avait une voix intérieure», admet-elle auprès de l’AFP, ses propres recherches allant dans l’idée que ce type de monologue mental sert de «simulation interne» essentielle pour ensuite traduire ses pensées en paroles.

«Je ne suis pas vide»

Quelles conséquences concrètes peut avoir l’absence de voix intérieure? Ou, autre phénomène mis en avant par Russell Hurlburt chez certains sujets, l’absence d’images, qualifiée d'«aphantasie»? On peut seulement spéculer sur le sujet. Le monologue intérieur rend «vulnérable à des schémas de pensée négatifs, aux ruminations», avance Daniel Gregory, philosophe spécialiste du sujet à l’Université de Barcelone. Mais il peut aussi servir «à s’encourager tout seul, à s’envoyer des messages positifs».

«Je pense qu’il y a du pour et du contre», estime Mel May, qui témoigne ressentir peu d’appréhensions pour son avenir, mais avoir du mal à mobiliser des souvenirs passés. Une chose est sûre: «Je ne suis pas vide à l’intérieur: je sais et je ressens des choses», insiste-t-elle.

(afp)

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