SciencesUne solution genevoise pour rendre le nucléaire inoffensif
La société Transmutex, sise à Vernier, met au point une centrale n’utilisant pas d’uranium.

Image de synthèse de la centrale nucléaire mise au point par la société genevoise Transmutex.
drIl existe une centrale nucléaire qui ne risque pas d'exploser, qui produit des déchets qui cessent d'être nocifs après 300 ans, et qui ne génère pas de substance utilisable à des fins militaires. Pour l'heure, elle est virtuelle. Elle se trouve sur les serveurs de la société Transmutex, logée dans un immeuble de Blandonnet, où 36 scientifiques de tous horizons s'affairent. «La phase de recherche fondamentale est achevée. La centrale a été développée sous forme de logiciel plutôt que physique. Sur ordinateur, elle fonctionne très bien», assure le CEO Franklin Servan-Schreiber.
Cet ingénieur s'est d'abord engagé dans la lutte contre le plastique dans les océans. Il a été sensibilisé à leur acidification, consécutive à leur absorption de CO2. Sentant la catastrophe poindre, il s'est convaincu qu'il fallait «aller à l'essentiel: l'énergie». Il s'est alors intéressé à l'hydrogène, mais son intérêt s'est vite porté sur les centrales nucléaires, qui permettraient d'en produire en grande quantité.
Remplacer l'uranium par le thorium
Comme tout le monde, il s'est heurté à la problématique des déchets et au caractère infréquentable de cette solution depuis les catastrophes de Tchernobyl (1986) et Fukushima (2011). Mais plutôt que de reculer, il cherche à contourner le problème. «Un jour, j'ai entendu qu'au CERN, des déchets avaient été détruits grâce à un faisceau de particules.» Il se lance dans le projet de déclencher la fission (scission de l'atome émettant de l'énergie) en bombardant de l'extérieur un combustible au thorium, qui remplacerait l'uranium. Transmutex voit le jour en 2019, puisant dans un rare vivier de scientifiques du bassin lémanique, où cohabitent le CERN, l'Université de Genève et l'EPFL.
Risques d'explosion
Pour schématiser, la méthode actuelle, décriée, repose sur la fission de l'uranium. Le procédé pose de multiples problèmes: très instable, il peut dégénérer en explosion; il crée du plutonium, matière première de l'armement nucléaire; et il génère d'importantes quantités de déchets radioactifs durant 300'000 ans qui sont extraordinairement complexes à stocker. A ce propos, Franklin Servan-Schreiber précise que le souci n'est pas tant la radioactivité de cette matière («la mettre dans un mouchoir sur la main est sans risque») mais le fait qu'elle soit soluble dans l'eau. «Si elle entre en contact avec la nappe phréatique, on peut l'ingérer. Comme elle ne disparaît pas, elle s'accumulerait dans l'organisme, et on en mourrait».
Une bien meilleure sécurité
Le thorium, au contraire, n'est pas soluble dans l'eau. Ses déchets cessent d'être radioactifs après 300 ans. Et comme Franklin Servan-Schreiber cultive l'idée de le «bombarder» de particules venant de l'extérieur du réacteur, le processus peut être stoppé en 2 millisecondes s'il tourne mal. La marge de sécurité étant ainsi considérablement augmentée, il est possible d'intégrer une plus grande quantité de déchets au combustible afin d'en éliminer une part conséquente.
Un atout géopolitique
L'idée de cet ingénieur n'est pas nouvelle; elle a été conçue au CERN. Elle était en revanche tombée dans les oubliettes de l'histoire, victime au début des années 2000 de la mauvaise presse du nucléaire. Franklin Servan-Schreiber souligne aussi que l'absence de plutonium est décisive. «Qu'aucun usage militaire ne puisse être fait de cette technologie. C'est un avantage décisif en vue d'une démocratisation de cette énergie à tous les pays.»
Une levée de 20 millions de francs
Transmutex, qui entend à présent basculer en phase industrielle, vient de lever 20 millions de francs. La somme paraît faible en regard, par exemple, des milliards que l'Union européenne investit dans l'hydrogène. Franklin Servan-Schreiber avance plusieurs explications: d'une part, la réticence des états à investir dans le nucléaire; d'autre part le fait que les alternatives à l'uranium ont été délaissées à la suite de Fukushima. «Depuis, on ne parle plus que de la fusion.» La solution est théoriquement parfaite, mais l'ingénieur la juge bien trop lointaine: elle produit de manière propre et sûre des quantités astronomiques d'énergie (il s'agit du processus à l'œuvre dans le soleil). En revanche, le procédé exige pour l'heure plus d'énergie qu'il n'en fournit.
Imparfait mais mieux que le CO2
Le thorium n'est évidemment pas parfait, concède Franklin Servan-Schreiber. D'une part, il génère quand même des déchets radioactifs. Ils se dégradent mille fois plus vite que ceux de l'uranium, mais à l'échelle humaine, 300 ans, cela reste long. «Mais le carbone qu'on a émis dans l'atmosphère, lui, reste 1000 ans», plaide-t-il. Autrement dit, entre deux maux, autant choisir le moindre. Par ailleurs, les déchets du thorium sont certes bien moindres que ceux de l'uranium, mais «ils sont plus radioactifs. Leur manipulation est donc plus délicate».
«Vraiment prometteur», dit le CERN
Le projet de Transmutex séduit le CERN. «Oui, il est vraiment prometteur! Le concept n’est pas neuf, mais les progrès des technologies requises le rendent bien plus proche de la mise en œuvre. Il s’agira d’une véritable percée dans la production d’énergie», juge Giovanni Anelli, responsable du groupe de transfert des technologies. La société a aussi noué des partenariats avec l’EPFL et l’Institut Paul Scherrer, le plus grand institut de recherche suisse pour les sciences naturelles et les sciences de l’ingénierie. Quant au directeur de la Fondation genevoise pour l’innovation technologique (Fongit), Antonio Gambardella, il considère que «Transmutex a le potentiel pour faire du canton de genève un leader mondial d’un avenir énergétique décarboné en éliminant les déchets radioactifs à vie longue.»