Épidémie de coronavirusS’inspirer de l’Asie et «faire de l’Europe une île étanche»
Face aux rapides mutations du virus, l’épidémiologiste Antoine Flahault juge que la vaccination seule ne suffira pas. Il prône un confinement bref avec écoles fermées, puis l’isolement du continent.

À Taïwan, le 2 janvier, des fans assistaient au concert du groupe de death metal Dharma.
Sam Yeh/AFPMardi soir, le journal Le Monde faisait état d’une information émise par l’agence de santé publique anglaise: le variant britannique continue de muter (lire encadré), et sa dernière modification risquerait de le rendre plus résistant aux vaccins. Face à cette situation, certes encore hypothétique, la question de la stratégie de vaccination se pose. L’Europe n’est-elle pas engagée dans une course contre la montre qu’elle est vouée à perdre, perpétuellement dépassée par les évolutions successives du virus? L’épidémiologiste Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale de l’Université de Genève, plaide pour un changement de stratégie, inspiré des pays asiatiques, avec le mot d’ordre suivant: vivre sans le virus plutôt qu’avec. Ce qui impliquerait un fort coût d’entrée: un confinement strict et généralisé. Interview.
Comment appréhendez-vous les récentes mutations du variant anglais dont fait état Le Monde?
Le virus mute, c’était attendu. Il ne mute pas trop vite, mais néanmoins assez fréquemment pour que ce soit une cause de préoccupation. Sa mutation, présente sur la protéine spike, l’a rendu davantage transmissible. À quel point, cela fait encore débat, mais il semble que ce soit moins qu’initialement annoncé, plutôt aux alentours de 35%. En revanche, il est aussi rapporté que sa létalité a augmenté. Certains papiers parlent de 30%, d’autres de 60%.
Est-il possible d’en faire façon?
Les Anglais ont repris le dessus sur la base d’un lockdown strict. Idem pour les Danois. Là-bas, la reprise en main est claire pour l’ancienne souche, le taux de reproduction effectif (Re) ayant chuté sous les 0,7. Mais il est toujours supérieur à 1,2 pour la nouvelle souche. C’est néanmoins le signe qu’avec les mesures actuelles, nous sommes encore en mesure de contrôler ce virus. C’est difficile, mais possible.
Mais si le virus continue sans cesse de muter, la course contre la montre n’est-elle pas irrémédiablement perdue?
Il existe des motifs d’optimisme quand on regarde l’état de la pandémie dans le monde. Ici, nous passons l’hiver à batailler contre ce virus, mais en Asie et dans le Pacifique, à Taïwan, au Japon, en Corée, en Australie, la situation est beaucoup plus sereine, une vie presque normale a repris son cours. Nous devons nous tourner vers ces champions. L’enjeu, c’est de mettre en œuvre une politique analogue, celle de ceux qui ont su maîtriser le problème.
Mais ce sont des îles, pour la plupart…
Oui, mais en disant cela, on prend du retard. Bien sûr, on ne peut pas penser que la Suisse résolve seule la situation sur son sol. En revanche, l’Europe de Schengen le peut. Elle pourrait se cadenasser et adopter la politique asiatique. Si la situation était maîtrisée à l’intérieur de l’Europe, la vie économique pourrait y redevenir florissante, et le moral de la population remonterait. On pourrait à nouveau partir en Grèce en vacances. L’enjeu se trouve là.
Il s’agit donc d’adopter la stratégie de l’isolement continental en lieu et place de celle de la vaccination?
Il s’agit d’ajouter à la vaccination une politique «zéro Covid». Si l’Europe est d’accord de s’orienter vers cette solution, cela suppose une très grande sécurisation des frontières, un traçage plus efficace et un isolement plus efficace des personnes infectées. Mais il y a un préalable indispensable à la mise en œuvre de cette politique: revenir au niveau zéro de circulation du virus.
C’est-à-dire passer par un confinement strict?
Oui. Il y a un coup de collier initial à donner, un investissement initial à faire. Mais le bénéfice serait assez rapide. C’est cela l’enjeu, et il doit être européen.
Pourquoi ne pas construire plus d’hôpitaux pour soigner, plutôt que de confiner?
Ce pourrait être une possibilité, mais elle fait froid dans le dos. Construire des hôpitaux, c’est une sorte de défaitisme. Cela signifie qu’on accepte de perdre la guerre. Cela signifie beaucoup de morts, beaucoup de gens qui vont souffrir. Cela voudrait dire qu’on laisserait faire l’épidémie. Je préfère rêver à la solution taïwanaise ou coréenne.
Vous êtes donc optimiste quant à notre capacité à venir à bout de cette épidémie?
Si tous les pays du monde se trouvaient dans notre situation, je n’afficherais pas cet optimisme. Mais ce n’est pas le cas. Nous pourrions donc essayer de transformer l’Espace Schengen en une grande île, afin de vivre sans ce virus plutôt que de vivre avec lui.
N’y a-t-il pas un risque que les effets collatéraux d’un confinement strict, sociaux et économiques, dépassent les bénéfices attendus?
Il existe bien sûr des effets indésirables. Mais nous avons un ennemi, c’est ce virus. Nous avons aujourd’hui le recul nécessaire, les connaissances nécessaires, et nous sommes dans une phase de plateau épidémique, durant laquelle il est possible de discuter et de débattre. Nous ne sommes pas comme les Anglais qui sont passés à trois semaines de l’effondrement de leur système de santé – et là, on ne discute pas. Il s’agit donc de regarder les exemples autour de nous.
Mais que faire pour rendre acceptables les dommages collatéraux?
Il y a ceux que l’on peut compenser, comme les pertes de gain. Il y en a d’autres que l’on ne peut pas compenser, comme la fermeture des écoles et des universités. Là, ce qui est perdu est perdu. Il faut donc savoir ce que l’on veut éviter à tout prix.
Maintenir les écoles ouvertes est donc souhaitable?
Malheureusement, je pense que leur fermeture est indispensable pour reprendre la main. Mais peut-être y a-t-il moyen de le faire en réaménageant le calendrier scolaire, en allongeant la fermeture des écoles durant les vacances de février, puis en compensant. Il s’agit d’être inventif. Fermer deux mois est inutile. Aujourd’hui à Genève, en moins d’un mois, on devrait pouvoir retrouver une marée basse. L’idée serait d’étendre les vacances durant trois semaines. Il devrait être possible de dégager une ou deux semaines par la suite.
Mais prendre cette décision seuls, vu les échanges transfrontaliers, a-t-il un sens?
Non, en effet. Une action coordonnée et un objectif partagé avec les pays limitrophes sont indispensables.
Efficacité vaccinale réduite
L’apparition de la mutation E484K du variant britannique décrite par l’agence de santé publique anglaise a été détectée sur le 484e acide aminé de la protéine spike. Elle correspond à celle présente sur le variant sud-africain. Et en effet, confirme la Dr Pauline Vetter, médecin cheffe de clinique au Service des maladies infectieuses des HUG, «elle repose la question de l’efficacité vaccinale contre le variant anglais».
La scientifique indique que les vaccins Moderna et Pfizer sont efficaces contre le variant anglais dépourvu de la mutation E484K. En revanche, leur efficacité «pourrait être réduite» contre le variant sud-africain, qui en est porteur. Elle relève que des résultats d’études cliniques de phase 3 sur d’autres vaccins «ont aussi observé une efficacité moindre sur le variant sud-africain». Mais il existe «une bonne nouvelle», affirme-t-elle: en Afrique du Sud, où «l’immense majorité» a été contaminée par ce variant, les vaccins restent efficaces à 60%. «C’est la première démonstration qu’une vaccination incluant la protéine spike du SARS-CoV-2 de 2019 (ndlr: soit la souche initiale) reste efficace contre ce variant.»
Pauline Vetter insiste donc: «L’efficacité des vaccins disponibles n’est pas nulle contre ces différentes mutations, mais réduite. Il est donc toujours recommandé de se faire vacciner pour tenter de limiter le plus possible la circulation du virus et les formes sévères de la maladie.»
Les HUG ont mis en place un système de détection systématique de la mutation E484K. La cheffe de clinique précise que, actuellement à Genève, environ 50% des virus circulants portent une mutation typique du variant anglais de base. «Le variant sud-africain y a aussi plusieurs fois été identifié, mais circule beaucoup moins que le variant anglais.»