Droits humainsStrasbourg condamne la Suisse pour avoir amendé une mendiante
Genève avait sanctionné une Rom de 22 ans qui, faute de pouvoir payer, était restée 5 jours en détention provisoire. La Suisse doit lui verser 1000 francs pour tort moral.

Photo d’illustration.
AFPLa Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a condamné ce mardi la Suisse pour avoir infligé une lourde amende à une mendiante roumaine pour mendicité sur la voie publique à Genève. «La Cour estime que la sanction infligée à la requérante ne constituait une mesure proportionnée ni au but de la lutte contre la criminalité organisée, ni à celui visant la protection des droits des passants, résidents et propriétaires des commerces», explique l’institution judiciaire du Conseil de l’Europe, installée à Strasbourg.
«Vulnérabilité manifeste»
Une Roumaine analphabète, appartenant à la communauté rom et née en 1992, avait été condamnée en janvier 2014 à 500 francs suisses d’amende pour mendicité sur la voie publique. Cette femme, qui n’avait pas de travail et ne touchait pas d’aide sociale, a été ensuite placée cinq jours en détention provisoire pour ne pas avoir payé l’amende.
«Placée dans une situation de vulnérabilité manifeste, la requérante avait le droit, inhérent à la dignité humaine, de pouvoir exprimer sa détresse et essayer de remédier à ses besoins par la mendicité», a considéré la CEDH. La Cour a donc jugé que la Suisse avait violé l’article 8 protégeant le droit au respect de la vie privée et familiale de la convention européenne des droits de l’Homme. La Suisse doit verser à la requérante 1000 francs suisses pour dommage moral.
Avis divergents
L’avocate de la jeune femme, Me Dina Bazarbachi, qui dépose des recours depuis des années contre des sanctions de ce type, salue la décision de la Cour européenne des droits de l’Homme. «Je fais des oppositions tous les jours, cela représente des dizaines de milliers de cas, explique-t-elle. L’arrêt de la Cour n’a pas d’effet rétroactif, malheureusement. Il y a eu des milliers de personnes détenues», rappelle l’avocate de l’association de défense des Roms, Mesemrom. Me Bazarbachi considère que l’arrêt rendu va conduire à l’annulation des lois cantonales en la matière, «car la Suisse s’est engagée à respecter la Convention européenne des droits de l’Homme»: «A mon avis, ils ne peuvent plus sanctionner et il faut attendre un changement de loi.»
Pour Me Christian Lüscher, conseiller national PLR et initiateur de la loi genevoise sur la mendicité adoptée en 2007, la décision européenne n’entraînera au contraire pas de changement législatif en la matière: «L’arrêt dit que le principe même de l’interdiction de la mendicité est considéré comme légitime et que la loi visait des buts légitimes, déclare l’avocat genevois. La seule chose que dit la Cour, c’est que dans le cas d’espèce, infliger une amende de 500 francs, dont on savait par avance qu’elle ne pourrait être payée, et qui donc se transformerait en 5 jours de prison ferme, était disproportionné et trop sévère. La Cour a rappelé que 29 pays européens interdisent la mendicité. C’est tout à fait légitime de punir la mendicité.» Selon Me Lüscher, cette décision pourrait modifier la pratique du Ministère public qui pourrait prononcer éventuellement des amendes seulement en cas de récidive ou lorsque cela concerne l’exploitation d’enfants. De son côté, l’Etat de Genève estime que la loi ne devra pas être changée, mais que les juges devront adapter les sanctions «au cas par cas».
Milliers d’amendes par an
Au bout du lac, environ 4000 amendes sont dressées chaque année pour des faits de mendicité et aucune d’entre elles n’est payée, indiquait la «Tribune de Genève» en 2018, à l’occasion d’un bilan des dix ans de l’entrée en vigueur de la loi antimendicité à Genève. Mardi, à la suite de la décision de la CEDH, les Verts vaudois et Ensemble à Gauche à Genève ont annoncé des textes parlementaires visant à abroger ou modifier les lois des deux cantons en la matière.