GenèveVingt-trois francs de l’heure minimum: balle dans le pied ou nécessité?
Les Genevois sont appelés à se prononcer sur l’introduction d’un salaire minimum. L’idée a déjà été rejetée au niveau cantonal, mais la précarité mise en lumière par la crise sanitaire pourrait changer la donne cette année.

Faut-il instaurer un salaire minimum à 23 fr. de l’heure? La question a été soumise aux Genevois, qui se prononceront le 27 septembre. L’initiative des syndicats, soutenue en bloc par la gauche, s’inspire du modèle neuchâtelois (lire encadré). En 2011, un projet similaire avait été refusé au bout du lac. L’initiative fédérale de l’Union syndicale suisse avait également été balayée en 2014.
Travailleurs précaires: deux tiers de femmes
Cette année, la précarité des travailleurs mise en lumière par la crise sanitaire et les distributions alimentaires réunissant des milliers de personnes pourraient changer la donne. «Avec moins de 23 fr. de l’heure, on ne peut pas vivre de son travail. À Genève, 30’000 travailleurs précaires gagnent moins et dépendent d’aides publiques, déplore Davide De Filippo, secrétaire général du syndicat SIT. Je rappelle que 17% des bénéficiaires de l’Hospice général ont un emploi.» L’initiative serait également «un pas extrêmement concret vers l’égalité salariale, poursuit le syndicaliste. Deux tiers des 30’000 travailleurs précaires sont des femmes, dans le commerce de détail, la blanchisserie, les ménages et l’esthétique, notamment.»
«Menace sur l’emploi»
L’initiative relèverait de la «fausse bonne idée» pour le député PLR Vincent Subilia. «De larges pans de l’économie sont terrassés à la suite de la crise sanitaire. Ce serait une vraie menace sur l’emploi, comme se tirer une balle dans le pied.» Pour le député socialiste Romain de Sainte Marie, la crise renforce au contraire «la nécessité d’un salaire minimum. Nous sommes le deuxième canton avec les loyers les plus élevés, les primes maladie moyennes les plus chères. Il faut imposer un cadre. Actuellement, l’État subventionne des entreprises qui sous-payent leurs employés.»
Dialogue «en danger»
L’Union des associations patronales genevoises (UAPG), auditionnée l’an dernier au sujet de l’initiative, regrette un texte qui représente «un danger pour le dialogue social». Pour elle, les conventions collectives de travail (CCT) négociées dans chaque branche remplissent leur rôle et «ne sont pas édictées sur n’importe quelle base, elles sont négociées entre partenaires sociaux». Un salaire minimum supprimerait cet élément de négociation «avec des dommages collatéraux probables sur d’autres éléments (vacances, horaires, assurances maladie, congés)» si un secteur devait renoncer à négocier une CCT. «On peut se poser la question de la viabilité d’une entreprise qui ne peut pas proposer un salaire décent à ses employés, remarque Davide De Filippo. Par ailleurs, une société est insérée dans un marché. En augmentant le pouvoir d’achat des employés, elle injecte de l’argent dans l’économie locale.»
«Tire les salaires vers le haut»
Enfin, l’exemple de Neuchâtel et du Jura divise. Il n’est pas pertinent pour Vincent Subilia. «La conjoncture n’était pas du tout la même. Ils l’ont fait pour des salaires moins élevés. À Genève, les secteurs de l’hôtellerie et de la restauration subissent une très forte concurrence notamment des prestataires venus de Vaud ou de France. Ce n’est pas le cas là-bas.» Davide De Filippo considère, lui, Neuchâtel comme un exemple supplémentaire qu’un revenu minimum «tire les salaires vers le haut. Toutes les études le montrent. Depuis 2018 les salaires n’ont pas baissé à Neuchâtel. Aucun effet n’a été mesuré sur le chômage.»
«Pratiquement tout le monde est content»
Neuchâtel a introduit le salaire minimum à 20 fr. de l’heure le 4 août 2017. Il peut varier selon l’inflation. Les syndicats s’étaient battus jusqu’au Tribunal fédéral contre différentes associations patronales qui l’estimaient contraire à la liberté économique. Après un an, en février 2019, le chômage avait «diminué plus que partout ailleurs», écrivait la «Neue Zürcher Zeitung» qui titrait alors «Pratiquement tout le monde est content», en référence à la grogne des taxis et des hôteliers. Le Jura a suivi, avec le même montant, en février 2018, avec un temps d’adaptation de deux ans. Le canton verse donc un salaire minimum à tous les travailleurs depuis février dernier.