Votation du 9 févrierEnvironnement: «La Suisse est dans une position unique»
Parfois considérée comme radicale, l'initiative sur les limites planétaires aurait un grand impact économique. Réaliste? Des chercheurs nous aident à y voir plus clair.

Moyens financiers, démocratie, innovation: la Suisse a des atouts pour mener à bien sa transition écologique, jugent deux spécialistes de l'Université de Genève.
NASA/GSFCPresque toutes les économies du monde dépassent les limites planétaires; pourtant, la Suisse pourrait être appelée à transformer la sienne si les Suisses votent oui à l'«initiative sur la responsabilité environnementale» le 9 février prochain.
Mais la proposition est jugée irréaliste par de nombreux observateurs. Alors, est-ce faisable, et avec quelles conséquences? «20 minutes» a posé la question à deux spécialistes de l'Université de Genève, l'économiste Cédric Durand et le professeur en sciences de l'environnement Hy Dao.
Est-il possible de changer si vite sans devoir imposer des restrictions drastiques?
Hy Dao: Il y a beaucoup de choses qu'on peut faire sans perdre en confort, par exemple l'isolation des bâtiments. Des changements individuels doivent aussi avoir lieu, mais ça ne va pas suffire et certains ménages ne peuvent pas se le permettre. Mais on a vu, avec le Covid ou la guerre, que les changements drastiques sont possibles lorsque le pays les soutient. Les priorités en terme d'impact, ce sont le logement, l'alimentation et la mobilité.
Cédric Durand: Il faudra des changements substantiels, c'est sûr. Mais la liberté de choix des consommateurs est détournée par la pub et les algorithmes, qui créent des besoins dont la satisfaction n'a rien à voir avec le bonheur. Freiner la publicité ne rendrait pas les gens moins heureux, au contraire. Il faut fixer les grandes lignes de ce qu'on attend de l'économie pour qu'elle soit au service des humains, et pas l'inverse.
Mais la Suisse est un pays plutôt libéral, peut-on ainsi restreindre son économie?
Hy Dao: Le dérèglement climatique induit aussi des risques pour l'économie. Le manque de prévisibilité de l'approvisionnement en eau est potentiellement une catastrophe pour l'agriculture ou la production énergétique.
Cédric Durand: Il y a un besoin de planification. Le marché, fait d'une somme de décisions décentralisées, n'avance pas de manière coordonnée. Cela ne signifie pas que l'État doit tout contrôler, mais il peut donner les grandes orientations pour encadrer et soutenir l'entrepreneuriat, et protéger des secteurs comme les petits agriculteurs. Créer une société adaptée peut offrir de vrais avantages compétitifs en matière d'innovation, et créer des emplois.
«Freiner la publicité ne rendrait pas les gens moins heureux, au contraire»
Quelle est la position de la Suisse par rapport au monde ?
Hy Dao: Aujourd'hui, si le monde entier consommait comme les Suisses, il faudrait environ 2,5 planètes. Il y a de gros progrès, notamment dans l'efficience énergétique, mais qui sont compensés par une utilisation qui augmente. De plus, une grosse partie de nos impacts environnementaux est exportée à l'étranger.
Cédric Durand: La Suisse a une position unique, puisqu'elle a les moyens financiers d'effectuer une transition rapide et cohérente. De plus, son modèle de démocratie permet que le scénario choisi soit au plus proche des besoins de sa population. Par ailleurs, il faut rappeler que la pollution de l'air, de l'eau, des sols, et le réchauffement ont des effets ici aussi.

L'empreinte écologique de la Suisse est en baisse, mais elle continue à dépasser les ressources disponibles.
Office fédéral de la statistiqueLa Suisse vise déjà la neutralité carbone en 2050. Pourquoi compliquer le débat avec les limites planétaires?
Hy Dao: La planète est comme un corps humain, un système complexe. Le climat et la biodiversité sont deux points centraux; si on les règle, on aura déjà fait un bon bout du chemin. Mais ils sont liés aux autres. Par exemple, même si la Suisse n'a pas d'océans, son CO2 s'y dissout et contribue à les acidifier. Et les fertilisants de son agriculture finissent dans la mer, nourrissant des plantes et algues qui étouffent les écosystèmes marins.
Cédric Durand: Aujourd'hui, il n'y a pas de comptabilité cohérente de ces critères. Du coup, les citoyens reçoivent des injonctions intenables, ils sont sensibilisés au climat mais il est très difficile de savoir exactement comment adopter un comportement responsable.

La Suisse dépasse 6 des 9 limites planétaires, le climat en tête (19x trop d'émissions).
GreenpeacePour aller plus loin
Oui ou non ? Deux jeunes confrontent leurs arguments
Fin janvier, la deuxième vague de notre sondage continuait de prévoir un échec cuisant pour l'initiative, qui ne récolte plus que 32% de oui, sans grosse différence entre les âges ni les classes de revenus. Les citadins sont un peu plus nombreux à la défendre.
Les arguments des Jeunes Vert-e-s au moment de lancer l'initiative.