Grand spectacleUn public hypnotisé par le son et les images
La première d'«Einstein on the Beach» a eu lieu mercredi au Grand Théâtre de Genève, qui ouvrait sa saison.
Standing ovation. Il était un peu moins de 23 heures, mercredi au Grand Théâtre de Genève, quand la salle, presque comble, a exprimé sa joie face à des artistes en scène depuis 19h sans interruption. La première d'«Einstein on the Beach» était un événement à plusieurs titres. L'opéra de Philip Glass, créé en 1976, n'avait jamais été donné en Suisse. Un comble sachant que le compositeur américain, chantre de la musique minimaliste (caractérisée par la répétition), séduit un auditoire bien plus large que les seuls amateurs d'art lyrique. La représentation ouvrait la première saison du nouveau directeur, le Zurichois Aviel Cahn, dont l'ambition affichée, «Oser l'espoir», veut marquer la rupture avec son prédécesseur. La mise en scène était réalisée par le Tessinois Daniele Finzi Pasca, qui, a réglé la Fête des vignerons, cet été à Vevey (VD).
Un public en balade
Dans le public, d'habitude majoritairement composé de personnes ayant plus de 50 ans, on aperçoit pas mal de trentenaires, liés au monde culturel (architecte, chargée de communication d'un théâtre, spécialiste marketing, journaliste de la télé). Quand les spectateurs entrent dans la salle, un acteur incarnant le physicien Albert Einstein est sur scène: il rêve assis à sa table de travail. Un surtitre indique aux 1500 mélomanes: «Vous pouvez quitter la salle et y revenir librement.» Ils ne s'en priveront pas, notamment après la 2e heure où les rangées se vident par grappe. On craint un four. Certaines personnes assises aux galeries en profitent pour descendre au parterre, créant des quiproquos quand, quelques instants plus tard, celles qui ont fait une pause souhaitent reprendre leur siège. Malgré les allées et venues, le manque de respect (bavardages, photos), la majorité des gens sont attentifs. Normal, ce qui se déroule sous leurs yeux et dans leurs oreilles est hypnotisant.
Oser la transe
«Einstein on the Beach» n'est pas un opéra ordinaire. L'œuvre en quatre actes est une succession de tableaux où acteurs, danseurs et acrobates sont soutenus par douze instrumentistes et un chœur dans la fosse. Cet effectif de musique de chambre tranche avec celui du répertoire romantique (Verdi, Wagner) dont la jauge est d'environ 80 musiciens sans compter les choristes. Il faut saluer l'engagement sans faille et le talent de ces artistes placés sous la direction musicale de Titus Engel.
Belles images, souvent creuses
Sur le plateau, Daniele Finzi Pasca donne à voir les rêves qu'il prête au célèbre physicien. La scénographie épurée abonde en réflexions lumineuses, vidéos psychédéliques, fumée et ombres chinoises. Les acrobates et les acteurs, dont les propos en anglais ne sont ni surtitrés ni traduits, évoluent dans un univers inspiré, entre autres, par le cirque (jonglerie, voltige, femme clown). Le public applaudit ces numéros, en particulier quand un cheval blanc apparaît ou après la danse d'une naïade dans un aquarium cylindrique qui se métamorphose en gobelet d'eau. Parfois l'exercice vire au kitsch (une sirène trapéziste) ou à la répétition obsessive (sans doute liée à la musique). Après tout, il faut bien animer ces quatre heures qui parfois donnent l'impression d'assister à un show son et lumière. Les images sont superbes mais sonnent souvent creux en abusant de grosses ficelles: les symboles du vélo, de la roue, du sablier et de la mariée.
À voir jusqu'au 19 septembre au Grand Théâtre de Genève.