SuisseDécès du photographe genevois Jean Revillard
Spécialiste des travaux documentaires, le photographe s'est éteint brutalement à l'âge de 51 ans. Il avait reçu plusieurs prix, notamment au World Press Award.

Jean Revillard dans l'émission de la RTS «Faut pas croire» en 2016.
Capture d'écranLe photographe genevois Jean Revillard est décédé. Spécialiste des travaux documentaires, il s'est éteint brutalement à l'âge de 51 ans, a indiqué vendredi soir sur son site le syndicat de journalistes impressum.
Jean Revillard avait été à la fois galeriste et photographe de presse, notamment au Nouveau Quotidien et à L'Hebdo, avant de lancer il y a près de 20 ans l'agence Rezo.ch. Lauréat à deux reprises de prix au World Press Award et d'un Swiss Press Award, il avait notamment travaillé sur les cabanes des migrants de Calais.
En 2010, il avait été récompensé par un autre prix pour «Sarah on the bridge», les clichés d'une esclave sexuelle dans les forêts italiennes.
Il avait ensuite été engagé comme photographe du Projet Solar Impulse de Bertrand Piccard.
Et sur les réseaux sociaux, plusieurs confrères du Genevois ont salué son travail. Des photos accompagnent ces hommages, dont l'une où Jean Revillard est aux côtés de l'ancien président français François Hollande.
(Développement suit...)
Bertrand Piccard: «Pour une image, il pouvait travailler toute une semaine»«Ses photos étaient absolument fantastiques. Je suis hyper triste. Toute l'équipe de Solar Impulse est en larmes.» Au bout du fil, l'émotion perce dans la voix de Bertrand Piccard. Avec la disparition de Jean Revillard, le célèbre aéronaute vaudois a perdu un ami. «On a passé cinq ans ensemble, de 2011 à 2016. Jean a couvert toutes nos expéditions. On a partagé de magnifiques moments. Depuis la fin de Solar Impulse on continuait de se voir. Il y a quelques semaines, il était là au moment où ma femme a sorti le livre qu'elle avait écrit sur Solar Impulse pour les enfants. Je crois que toutes les photos de cet ouvrage, à une exception, sont de lui.
Notre premier contact s'était déroulé au Salon du livre, à Genève. J'avais été très touché par ses images des cabanes que les migrants construisaient autour de la forêt, à Calais. Une manière pour lui d'attirer l'attention sur l'extrême pauvreté et la détresse de ces gens. On a sympathisé tout de suite.
Ce qui était merveilleux avec lui, c'était l'engagement total qu'il mettait dans chaque photo. Quelle que soit la difficulté, il s'arrangeait pour parvenir à ses fins. Pour une image, il pouvait travailler toute une semaine, jour et nuit, à effectuer des repérages en avion, en bateau, en voiture ou en hélicoptère. Ensuite, il arrivait avec un grand sourire et nous disait: regardez, je crois que vous serez content.
Je me rappelle quand il a pris la photo où je me trouve en vol au-dessus du Golden Gate, à San Francisco. Précédemment, il avait pris des repères au sol durant plusieurs jours sous formes de points GPS. J'ai suivi le circuit exact qu'il avait projeté. Lui, il m'accompagnait dans un hélicoptère, afin de trouver l'angle exact qu'il imaginait. Pareil pour la photo avec la statue de la liberté, à New York. Il avait été rencontrer les personnes responsables des projecteurs qui illuminent le monument. Ils avaient des Zodiac sur la Hudson River. Pour disposer de plusieurs angles de vue, Jean avait loué des projecteurs de DCA pour éclairer l'avion piloté par André Borschberg. C'était incroyable. Rien ne lui faisait peur.
Parmi mes photos préférées, celles qui m'ont fait le plus vibré, il y a ces deux-là, bien sûr, ainsi que celles prises quand je volais au-dessus du Cervin, et lorsque André a survolé les pyramides du Caire. Le côté sécurité que les ingénieurs imposaient entrait souvent en contradiction avec ce que Jean demandait. Forcément, j'étais toujours de son côté.»
Nicolas Righetti, photographe : «des images puissantes et décalées»«On s'est connus à l'école Moser, en 1983. On avait quinze ans. C'était une classe de rattrapage, ni lui ni moi n'étions les meilleurs élèves du monde. Hormis la photographie, on partageait d'autres passions. Jean était un baroudeur. Il m'emmenait faire de la spéléo au Salève, du hors-piste à Verbier. C'est lui qui ouvrait la piste. C'était un meneur d'hommes qui aimait diriger. Je me souviens qu'à l'école, quand on nous avait demandé qui voulait être le chef de classe, il s'était immédiatement proposé. Personnage entier avec un ego affirmé, il possédait aussi une fragilité intérieure qu'il masquait sous une sorte de carapace, comme pour se protéger.
On a pas mal voyagé ensemble, notamment en reportage en Roumanie, juste après la chute de Ceaucescu. Par la suite, on s'est retrouvé à dimanche.ch, où il était chef photo. C'est pendant cette période qu'il a créé l'agence Rezo.ch
Son style était immédiatement reconnaissable, avec des images principalement réalisées avec des flashs. A l'époque, on utilisait du Quantum, des tubes très longs, entre dix et vingt centimètres. Habituellement, on part du clair pour aller vers l'obscur. Lui, il effectuait la démarche inverse: assombrir l'image, partir du noir pour éclairer certains points. C'est devenu le style de l'agence Rezo. Il disait volontiers: En Suisse il fait souvent gris. Il faut mettre un coup de flash pour ajouter de la lumière, mettre son propre soleil. Il avait envie qu'on puisse s'arrêter sur ses photos, qu'elles soient fortes, puissantes, décalées, surprenantes.
Jean avait non seulement une patte, mais aussi cette sensibilité qui lui faisait sentir les thèmes susceptibles de toucher les gens. Je pense à cette série sur Sarah, cette clandestine black qui se prostituait sur les routes italiennes. Ou à ses images sur les cabanes de migrants, à Calais. A la place de montrer les gens, il a montré leurs cabanes. Ces images lui ont valu le world press photo. Il en a tiré un très beau livre, « Jungle ». Son travail sur Solar Impulse aussi était magnifique. Mais ses images les plus personnelles relève plutôt de la noirceur de la vie.
Je retiens aussi de lui son énergie. Il avait toujours mille projets. Sa dernière passion ? La photo avec des drones. Il était en plein développement de cette activité.»
Philippe Muri (nxp/ats)