Camp de Roj (Syrie)La Genevoise «regrette d'exposer ses enfants»
Fin 2016, Sahila F.* s'en va rejoindre l'EI en Syrie et emmène ses deux enfants avec elle. Aujourd'hui retenue dans un camp au nord de la Syrie, cette Genevoise de 30 ans témoigne.

Sahila * (30 ans), originaire de Genève, s'est rendue en Syrie en 2016, où elle a rejoint le groupe EI.
Elle est née et a grandi à Genève, où elle a suivi un apprentissage commercial. Aujourd'hui, la Suissesse de 30 ans se retrouve dans un camp dans le nord de la Syrie. Il y a trois ans, Sahila F.* décide de rejoindre l'EI avec ses deux filles, Malika* (13 ans) et Nalia* (7 ans), également nées à Genève. Le trio dit adieu à son quotidien confortable pour une tente au milieu de rien en compagnie de 400 autres femmes et enfants. «Je regrette d'exposer mes enfants à tout ce qui se passe en Syrie», confie Sahila. Cependant, elle nie avoir enlevé ses deux enfants.
En mars 2017, le Parquet fédéral chargé de la lutte contre le terrorisme ouvre une procédure pénale contre Sahila. Peu de temps avant, les deux pères de ses enfants avaient obtenu la garde exclusive. A cette époque, les autorités fédérales et genevoises étaient censées avoir examiné un possible rapatriement des enfants. Les deux pères, l'un d'origine marocaine et l'autre algérienne, vivant tous deux à Genève, étaient prêts à se rendre en Syrie pour sauver leurs filles par leurs propres moyens.
«Un diplomate suisse m'a proposé de ramener mes filles»
Sahila dit ne pas être au courant de la menace d'arrestation et de retrait de passeport suisse à laquelle elle fait face pour enlèvement et association avec le groupe Etat islamique (EI). En fait, elle n'a accès à aucune information à l'intérieur du camp. Lorsqu'on lui demande si les autorités suisses l'ont contactée, Sahila explique qu'un diplomate lui a rendu visite, une fois cette année et lui a proposé de ramener Malika et Nalia à Genève. Quant à elle et son nouveau né, Shamina* qui a vu le jour en Syrie, elles seraient contraintes de rester sur place. Une situation qui, pour elle, n'est pas acceptable.
Shamina est âgée d'un an et demi. Son père était un djihadiste tunisien, mort dans une attaque de drone. Comme l'explique le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), il est impossible de fournir plus d'informations sur ce cas (voir encadré). Sahila explique ne pas vouloir revenir en Suisse. «Je préfère aller en Algérie. Je veux aller dans un pays où, on ne me crache pas dessus à cause de mon hijab, comme cela a été le cas dans une Migros à Genève», confie-t-elle. Très prudente, la trentenaire ne veut pas être photographiée.

La fille aînée blessée
Malika est assise proche de sa mère. Elle a posé ses béquilles à côté d'elle. La jeune fille de 13 ans a été blessée au printemps dernier à Baghouz, l'ultime bastion du califat djihadiste tombé fin mars 2019. Une grenade a explosé proche de sa hanche. Heureusement, l'enfant a rapidement été prise en charge par les Kurdes. Malgré le climat délétère dans lequel elle vit, la petite insiste pour rester avec sa mère.
Après l'enfer de Baghouz, la mère et ses trois enfants ont été transférés au camp d'Al-Hol, dans le nord-est de la Syrie pendant six mois. Jusqu'à 72'000 personnes, dont de nombreux adeptes de l'EI, ont été hébergées dans ce camp sous contrôle des Kurdes, qui pratiqueraient la tyrannie. «Ces gens ne vivent pas selon l'Islam, ils ne respectent pas la religion. Mais Al-Hol est préférable à Baghouz», précise la Genevoise.
Malika, 13 ans, a été emmenée en Syrie par sa mère qui a rejoint l'Etat Islamique en 2016. Elle se trouve actuellement avec sa mère dans le camp de détention de Roj.
Aujourd'hui, la famille se trouve dans le camp de détention de Roj, (Toujours dans le nord de la Syrie), et continue à vivre dans la crainte. «Nous quittons à peine notre tente», confesse Sahila. Quant à savoir si la mort d'Abu Bakr al-Baghdadi - le patron de l'EI - changera les choses, la Suissesse est convaincue du contraire: cela ne fera guère de différence. Elle et ses filles continueront de vivre dans la peur et l'incertitude.
*nom changé par la rédaction
Le DFAE examine les rapatriements au cas par cas
Est-il vrai qu'un diplomate suisse a rendu visite à Sahila et lui a proposé de ramener deux de ses enfants en Suisse?
Interrogé par «20 Minuten», le DFAE déclare: «Le 8 mars 2019, le Conseil fédéral a défini les objectifs et la stratégie à suivre face aux voyageurs djihadistes. Pour les adultes de nationalité suisse, la Confédération ne prend aucune mesure active qui conduirait à un retour.»
Mais dans le cas des mineurs, la Suisse examinerait les possibilités de rapatriement au cas par cas si l'intérêt de l'enfant l'exige. «La Suisse déploie depuis longtemps de grands efforts dans l'intérêt des enfants et continuera à le faire avec détermination, dans le but de les rapatrier. Les autorités fédérales et cantonales compétentes sont en contact les unes avec les autres et coordonnent la procédure, ce qui inclut la clarification des questions juridiques et de sécurité».
Si les enfants se trouvent dans une région en crise et qu'ils y restent, les mères sont tenues responsables. Celles-ci sont considérées comme des voyageuses motivées par le djihadisme. Jusqu'à présent, le rapatriement des enfants a échoué surtout parce que leurs mères n'étaient pas prêtes à les laisser partir.
Dans ce cas particulier, le DFAE ne peut pas fournir d'autres informations pour des raisons de protection des données et de la vie privée.