Vufflens-la-Ville (VD)L’occupation s’organise autour de la lutte contre le béton et Orllati
La pseudo-ZAD qui a vu le jour le long de la Venoge a pour but d’alerter sur un projet de gravière à béton. Reportage dans un village éphémère et forestier.
«Ne ramassez pas de bois mort, nécessaire à la biodiversité», «tenez vos chiens en laisse», «prix libre» pour des affichettes sérigraphiées, ou encore «ne prenez pas en photo les gens qui cachent leur visage». Les règles d’une vie en communauté sont en train de s’installer dans ce bout de forêt appartenant à la commune de Vufflens-la-Ville (VD).
Une action préventive
On y trouve une cuisine bien organisée tenue par un groupe germanophone, des plateformes et banderoles aériennes accrochées grâce à des techniques bien rôdées, une «décharge toxique» (sous forme de toilettes sèches), une sono pour des conférences… mais pas de barricades comme on pouvait en voir sur le Mormont. «C’est parce que ce n’est pas une «zone à défendre» (ZAD), car si on veut nous mettre dehors, on n’a pas l’intention de se défendre», explique Martin Peikert, porte-parole du collectif Grondements de la Terre.
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20min/rbzLa soixantaine de militants installés pour le week-end, et probablement au-delà (un vote aura lieu dimanche soir) ciblent cette fois Orllati, géant vaudois de la construction, qui prévoit d’extraire du gravier dans un avenir plus ou moins lointain dans cette zone cartographiée par le Canton. «Au Mormont, il était trop tard dans les procédures pour renverser la situation; cette fois, on s’y prend en mode préventif», poursuit Martin Peikert. Plusieurs alliés récurrents se sont montrés en soutien, dont le Prix Nobel Jacques Dubochet. Contacté, Orllati n’a pas donné suite pour l’instant.
«Le Canton trouve le béton cool»
«On creuse l’équivalent d’une pyramide de Khéops chaque année dans le canton, mais ça ne pourra pas durer indéfiniment», ont mis en garde samedi deux journalistes de Heidi.news, auteurs d’une enquête sur le béton et la guerre qu’il cause entre Holcim et Orllati. Invités pour une conférence, Claude Baechtold et Antoine Harari mettent en garde: «On a affaire à des géants qui profitent des particuliers et les communes, à l’aide de leurs gros sous, sans réfléchir à ce qu’on fera dans 30 ans quand le gravier sera épuisé. Tout cela avec l’aval du Canton, qui trouve le béton «cool», comme on le voit avec l’exemple du cube de béton qu’est le MCBA.»
Les militants indiquent vouloir mener leur «contre-expertise démocratique» au moyen d’une consultation populaire, bien qu’une mise à l’enquête soit prévue dans les procédures légales du projet, encore peu avancé, indique la députée et responsable du bureau mandaté pour l’étude d’impact, Carole Schelker. Samedi, en tout cas, peu d’habitants avaient eu vent de l’action. Certains se disaient plutôt curieux et bienveillant, voire reconnaissants, d’autres affirmaient leur confiance dans les processus légaux et démocratiques et invitaient plutôt les activistes à s’occuper de leurs oignons.
Dimanche soir, en présence de quelques habitants favorables, les militants ont choisi de poursuivre leur action encore quelques semaines, notamment pour organiser des week-ends d’information et pour dialoguer avec le Conseil communal et la Municipalité.
«En se focalisant sur le CO₂, on oublie les autres limites planétaires»
Venu voir le village d’occupation samedi, l’ingénieur spécialiste de l’eau Frédéric Pitaval a salué la démarche de ces jeunes. Egalement engagé dans la protection du Rhône, il rappelle que les projets tels que celui-ci ne comportent pas que des risques immédiats pour l’environnement. «Bien-sûr, il y a les trajets en camion, les produits toxiques utilisés dans le cadre du chantier… Mais il y a les enjeux de long terme aussi, et pas seulement les émissions de CO₂, sur lequel on s’est focalisé. C’est nécessaire, mais notre planète à d’autres limites qu’il ne faudrait pas ignorer en refusant de se questionner sur notre utilisation des ressources telles que le béton, donc le gravier.»
Le Canton observe, prudent
«L’objectif est de privilégier le dialogue et d’éviter la confrontation», résume le conseiller d’Etat chargé de l’environnement et de la sécurité, Vassilis Venizelos, qui indique avoir des contacts réguliers avec la commune. Alors que le Canton est épinglé par les militants pour son rôle dans la gestion de l’extraction des ressources destinées au béton, l’élu Vert assure qu’il juge leurs préoccupations légitimes, même s’il ne cautionne pas leur méthode. Il précise toutefois que le lieu occupé n’est en réalité pas prioritaire en raison de son impact sur des «bonnes terres cultivables» notamment, même si le plan directeur des carrières de 2015 dit le contraire. «Ce plan sera mis à jour durant cette législature», précise-t-il.
Sur les revendications globales quant à l’usage des ressources, cependant, Vassilis Venizelos rappelle que le programme de législature cantonal inclut une volonté de devenir pionnier en matière d’économie circulaire, au travers notamment d’un usage plus poussé de matériaux recyclés et d’une réflexion autour de la façon de construire.